Pourquoi aimons-nous autant nous prendre en photo et les partager sur les réseaux sociaux ? Pour mieux comprendre comment les plateformes sociales modèlent nos comportements et nous poussent à appuyer sur le bouton, c’est avec des rats que le photographe français Augustin Lignier a mené l’expérience-performance.
Le 23 janvier 2024, le New York Times publiait un article à propos d’une expérience au fort écho médiatique, illustrée par une collection de selfies de rongeurs. Son initiateur : Augustin Lignier, un photographe français qui souhaitait reproduire l’expérience du comportementaliste et psychologue américain Burrhus Frederic Skinner. Inventé dans les années 1930, le protocole consiste à enfermer des rongeurs dans une chambre d’essai, puis à distribuer des récompenses de manière aléatoire à l’aide d’un petit levier que l’animal peut actionner. Celui-ci devient rapidement dépendant : il n’arrive plus à décrocher du bouton et de la perspective d’un gain. Satisfaire sa faim devient même un objectif secondaire. Il se retrouve asservi au mécanisme de la machine. C’est en s’inspirant de ces recherches qu’ont été pensés les réseaux sociaux. Lorsque nous actualisons notre fil d’actualité, nous sommes, nous aussi, en quête de récompenses : un like, un commentaire, un cœur… Ces réactions numériques stimulent notre production de dopamine, ce pourquoi nous y retournons de manière régulière et parfois même compulsive.
Augustin Lignier, intrigué par cette obsession moderne pour le selfie, a conçu une tour de verre transparente à trois étages. Face à elle : un appareil photo, et, au bout du fil : un bouton qui déclenche les clichés et délivre une dose de sucre. À l’intérieur du dispositif, il met deux rats et un écran qui leur permet de se contempler. Après une phase d’apprentissage, les rongeurs semblent plus intéressés par la prise de photo que par le sucre qu’ils finissent par délaisser. Pour Augustin Lignier, là est bien la preuve que ces rats sont comme nous : rongés par le narcissisme. Nous sommes piégés par notre addiction aux réseaux sociaux.
Si ces travaux empruntent l’esthétique de l’expérience scientifique, il s’agit avant tout d’une démarche artistique qui cherche à questionner notre rapport aux médias. Impossible de savoir vraiment si l’animal a conscience de sa propre image.
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