Auteur de bande dessinée, Matthias Lehmann participe à Drawing Factory, un hôtel transformé en ateliers, 11 avenue Mac Mahon, à Paris. Il vit et travaille dans la région parisienne où il est né en 1978. Connu pour ses histoires courtes en bande dessinée publiées dans des revues ou anthologies, il développe un style bien particulier avec ses dessins et ses cartes à gratter. « Ce qui me passionne le plus, explique t-il, c’est d’imaginer le découpage d’une page, j’essaie de varier au maximum mon approche, de réfléchir à comment disposer les choses dans l’espace de la page. » A découvrir, jusqu’au 20 septembre 2021.
Propos recueillis par Clara Leroux
Qu’attendez-vous de votre expérience au sein du Drawing Factory ?
J’ai postulé pour avoir un lieu de travail pendant les mois d’été, mais c’était aussi l’idée de partager une expérience de vie collective. Puisque c’est un lieu consacré au dessin contemporain, j’avais à cœur que la bande dessinée y soit présente. Je travaille sur un projet de bande dessinée, appelée Chumbo, c’est un récit d’environ 300 pages qui sortira fin 2022 aux éditions Casterman. J’ai fait un peu plus d’un tiers du récit donc il reste beaucoup de travail. C’est la saga familiale d’une famille brésilienne au début du XXe siècle, et qui va aborder les grandes tensions politiques qui se sont posées, notamment dans les années 60 à l’époque du coup d’Etat qui a instauré vingt ans de dictature militaire.
Petit, vous intéressiez-vous à l’art, et de quelle manière ?
Quand j’étais ado et que je publiais mes propres fanzines, que j’allais au festival d’Angoulême les présenter, que je faisais de nouvelles rencontres, c’était beaucoup plus intense que n’importe quoi que je puisse faire aujourd’hui. Les arts graphiques étaient tout simplement partout chez moi, je n’ai donc aucun mérite ! Il y avait beaucoup de bandes dessinées et de monographies d’art, on allait voir des expos et puis mon père peignait, ma sœur aînée aussi. Il y’avait une grande pièce consacrée au dessin chez moi, avec un bazar incommensurable et plein de matériel. J’aime ce savant mélange de rythme, d’images, de textes et de design me fascine. C’est un art qui fait la synthèse de beaucoup de choses. Ce qui me passionne le plus c’est d’imaginer le découpage d’une page, j’essaie de varier au maximum mon approche, de réfléchir à comment disposer les choses dans l’espace de la page, tout en tenant compte du rythme du récit et en puisant dans des sources très diverses.
Combien de temps passez-vous sur une création et quelles techniques particulières utilisez-vous ?
Justement, ça dépende de la technique. Si je suis dans une bonne dynamique de travail, je peux avancer très vite. Sur une page de bande dessinée, crayonné+encrage (au stylo à pigment en ce moment) il m’arrive de faire une page par jour. Parfois, un peu plus selon le nombre de détails. Après c’est une journée très longue, au moins douze heures de travail !Je fais également des dessins plus ou moins grands sur carte à gratter. Ces dessins-là peuvent prendre plus d’une semaine. En ce moment, mon sujet principal c’est le Brésil, mais souvent, dans mes récits, ma préoccupation c’est le déterminisme social, voire sexuel (comme dans mon livre « La Favorite« ).
Quelle est la différence entre une carte à gratter blanche et une carte à gratter noir ?
La carte à gratter blanche, c’est juste de la carte à gratter noire sur laquelle on n’a pas appliqué une couche d’encre noire sur la surface. C’est un carton recouvert d’une couche de kaolin, très lisse et friable, sur laquelle on peut dessiner à l’encre puis regratter à certains endroits. Comme le kaolin est assez épais, on peut gratter en profondeur et de manière très nette (avec un certain degré de repentir aussi). Ce qui n’est pas possible sur du papier ordinaire, même si certains papiers couchés s’en approchent mais ils n’ont pas la même durée de vie. Quant à la carte à gratter noire, c’est la même chose, mais avec une couche d’encre noire appliquée de manière uniforme sur la surface. Ainsi quand on gratte sur la surface noire avec un cutter ou un scalpel, le trait apparaît en blanc, avec un rendu proche de la gravure sur bois de bout.
Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ?
Ce serait vraiment très long de répondre de manière exhaustive. Ça va de la bande dessinée franco-belge tels les trois F (Franquin, F’murr et Fred, mes préférés) à l’underground américain, Robert Crumb bien sûr et puis toute la génération indé américano-canadienne les Daniel Clowes, Chris Ware, Debby Dreschler, Phoebie Gloeckner, Chester Brown, Henriette Valium, Charles Burns et Julie Doucet ! A 20 ans, je voulais être Julie Doucet, je la trouvais trop cool, ses bd, ses rêves, sa revue Dirty Plotte… C’était génial. Il y a aussi la période des graphzines punks français des années 80/90 : Pascal Doury, Olivia Clavel, Pakito Bolino, Blanquet…