L’écrivain Sean J. Rose ouvre une fenêtre rare dans le paysage critique actuel. Depuis Paris, où il vit après un parcours tissé entre Saïgon, Londres et la capitale française, le journaliste littéraire transpose sur YouTube ce qui fait la singularité de sa voix : précision, subjectivité assumée, attention aux zones sensibles.
Sa chaîne Du côté de chez Sean, lancée en novembre 2025, ne cherche pas le rythme effréné des formats culturels dédiés à l’actualité. Elle propose plutôt un temps suspendu, six minutes où l’on écoute un lecteur averti déplier une œuvre. Réalisée par Fabrice Cervel, la série compte aujourd’hui deux épisodes, chacun construit autour d’une trinité romanesque.

Épisode 1 — Enfance, crise et secrets de famille
Le premier épisode de la chaine Du côté de chez Sean rassemble trois romans qui explorent l’entrée dans la vie, ses cassures et ses ombres.
• L’Entroubli de Thibault Dalman (Le Tripode)
Premier roman d’une grande finesse, où un enfant grandit dans une famille chaotique sans événement traumatique initial. Tout bascule au collège lorsqu’on le qualifie de « poète », mot déclencheur qui ouvre un monde intérieur où la puberté devient mutation. Sean J. Rose insiste sur la capacité du livre à saisir le « miroitement du monde » et sur sa thèse forte : l’enfance est moins un âge qu’un état d’être.
• Combustions de François Gaget (Albin Michel)
Trois hommes en randonnée dans un Cotentin soudain confiné par une explosion à l’EPR de Flamanville : un décor contemporain, presque documentaire. Rose montre comment Gaget orchestre le récit du financier Paul, personnage brillant mais fissuré, pris dans une relation destructrice. Derrière la noirceur et les comparaisons avec Houellebecq ou Ellis, il souligne la mélancolie du livre et sa quête de ce qui « n’a pas de prix ».
• La Maison vide de Laurent Mauvignier (Minuit)
Pour Sean J. Rose, c’est le texte-clé de l’œuvre de Mauvignier. Un héritage rural, des secrets enfouis, une histoire familiale qui remonte la Première Guerre mondiale jusqu’à la guerre d’Algérie. Le critique littéraire met en lumière la figure centrale de la grand-mère, tondue à la Libération, et l’interrogation récurrente du roman : connaît-on vraiment ceux qui nous sont les plus proches ?
Épisode 2 — Mystères, métamorphoses et adolescence meurtrie
Plus sombre, plus tendu, le deuxième épisode navigue entre réalisme cru, merveilleux et gothique contemporain.
• La Marchande d’oublies de Pierre Jourde (Gallimard)
Sean J. Rose qualifie le roman de « cathédrale ». Inspiré de Huysmans, traversé par l’imaginaire du cirque et des monstres, il suit Alistair, être géant et maladif, disparu après un accident. Le critique insiste sur l’atmosphère, entre Les Enfants du paradis de Marcel Carné et David Lynch — et sur la réflexion morale qui traverse le livre : fascination, pureté, mal radical.
• La Bossue de Sao Ichikawa (Globe)
Lauréat du prix Akutagawa en 2023, ce texte japonais déroute et bouscule. Ce qui semble d’abord un récit de club érotique se révèle être un fil narratif rédigé sur Twitter par Shaka, jeune héritière handicapée. Le roman interroge le désir, la violence symbolique et un eugénisme diffus. Sean J. Rose met en avant l’écriture directe, parfois médicale, et la force politique d’un livre qui refuse toute complaisance.
• Peau d’ourse de Grégory Le Floch (Seuil)
Après l’âpreté de La bossue, Gégory Le Floch offre un récit vif, drôle et brutal sur l’adolescence pyrénéenne. La narratrice, moquée pour son corps et son hirsutisme, tombe amoureuse de la fille la plus populaire. Harcèlement en ligne, pulsions adolescentes, légendes pyrénéennes : Sean J. Rose montre comment le roman détourne le tragique grâce à une langue pleine de gouaille et à une incursion du merveilleux.
Une chaîne pour lecteurs exigeants
Dans Du côté de chez Sean, pas de survol ni d’effets faciles. Les vidéos s’appuient sur une critique précise, des références croisées, un sens aigu du rythme narratif. L’approche mêle enthousiasme, lucidité et un goût certain pour les livres qui dérangent. Surtout, Sean J. Rose restitue la densité des romans sans les résumer platement : il donne envie d’y aller, de s’y perdre, d’y revenir.












