L’Académie de France à Rome – Villa Médicis met à l’honneur le travail d’un artiste dont l’œuvre se déploie aux confins du Sahara et des paysages intérieurs de la mémoire : Abdessamad El Montassir. Lauréat 2025 de la Bourse Villa Médicis x Fondation Louis Roederer, né en 1989 dans le sud du Maroc, il appartient à cette génération de plasticiens qui tissent un lien étroit entre art et recherche, poésie et histoire collective. Une exposition intitulée « Une pierre sous la langue » lui est consacrée au Frac Franche-Comté à Besançon du 17 octobre au 1er mars 2026.
« Une pierre sous la langue » : un titre en forme de poème sahraoui
Le titre de l’exposition est emprunté à une tradition poétique sahraouie. Elle dit : « Mets une pierre sous ta langue pour oublier, puis jette-la vers le soleil pour te souvenir. » Cette métaphore puissante structure l’ensemble du projet d’Abdessamad El Montassir. La pierre est ici un réceptacle de mémoire et un outil de silence ; la langue, à la fois organe de parole et lieu de l’oppression ; le soleil, symbole de vérité et de résurgence. L’oubli est donc un geste actif, presque rituel, tout comme le souvenir. Entre ces deux pôles, se déploie la création de l’artiste : un art de l’entre-deux, du fragile, de l’invisible. L’exposition réunit des œuvres produites entre 2021 et 2024, dont deux pièces appartenant déjà à la collection du Frac Franche-Comté. Elle inclut également des créations conçues lors du séjour de l’artiste à Rome. Vidéos, installations et photographies construisent un récit fragmentaire où s’entremêlent histoire politique, drames intimes, mémoire orale et transmission des savoirs.
Le travail d’El Montassir se distingue par son approche cartographique. Ses photographies et ses vidéos composent des itinéraires sensibles, à la manière de relevés ethnographiques poétiques. Mais là où la cartographie scientifique vise la précision et l’objectivité, la sienne explore les interstices, les zones de silence, les marges. Chaque image est un fragment de mémoire ravivée. Elle ne documente pas seulement une réalité géographique : elle donne à voir ce qui est habituellement effacé ou minoré. Les plantes, les pierres, les paysages désertiques deviennent autant de témoins muets d’histoires de domination, de traumatismes enfouis, mais aussi de résistances invisibles. À travers cette démarche, l’artiste construit une géopoétique : une façon de révéler les espaces invisibilisés par les récits dominants, et de restituer leur charge politique, culturelle et sociale.
Depuis 2020, la Fondation Louis Roederer soutient l’Académie de France à Rome. Elle participe à la valorisation de la création contemporaine en accompagnant seize pensionnaires chaque année. En 2017, la Villa Médicis a créé un fonds d’aide à la production, destiné à prolonger les projets des pensionnaires après leur résidence. Ce dispositif a été renforcé en 2024 avec la création des Bourses de production Villa Médicis x Fondation Louis Roederer. Deux lauréats sont choisis chaque année : un artiste et un chercheur. À travers ce soutien, la Fondation Roederer apporte non seulement un financement mais aussi un accompagnement artistique sur mesure. En 2025, deux personnalités ont été distinguées : Abdessamad El Montassir pour son projet d’exposition, et Pierre Von-Ow, historien de l’art et commissaire d’exposition. Cette reconnaissance inscrit l’artiste marocain dans une lignée d’auteurs dont le travail dépasse les frontières de la simple production plastique pour interroger la mémoire collective et les modes de transmission.
Image : Abdessamad El Montassir, Sadra Kodia, 2025.Installation vidéo multi-écrans © Abdessamad El Montassir / ADAGP, Paris