Figure incontournable des vernissages et des ateliers, Denyse Durand-Ruel se distingue par son allure élégante et un œil aiguisé de collectionneuse. Son visage fin, éclairé par une longue mèche blanche, lui donne un air déterminé. Les artistes qu’elle a côtoyés l’ont souvent représentée : Christo a peint son portrait qu’il a emballé au cordeau, Arman lui compose un assemblage soigneusement orchestré d’objets intimes et emblématiques… Elle a inspiré Jean-Pierre Raynaud ou encore Jean-Claude Farhi. Chacun, à sa manière, a voulu saisir quelque chose de cette présence singulière.
Femme de tête, elle conjugue intelligence et charisme avec une rigueur sans faille. Issue d’une formation en mathématiques et ingénierie, Denyse Durand-Ruel n’a rien d’une théoricienne distante. L’art a été une rencontre, rendue évidente par son mariage, en 1956, avec Philippe Durand-Ruel, arrière-petit-fils du marchand qui révéla les Impressionnistes. Très vite, elle s’investit aux côtés de son mari dans la collection familiale. Mais au lieu de s’en tenir aux gloires établies, ils décident d’explorer leur propre époque. Dans les années 1960, ils se tournent vers l’École de Nice et les Nouveaux Réalistes. Arman, César, Yves Klein, mais aussi Fautrier ou Wols entrent dans leur collection. Ils les côtoient, échangent avec eux, suivent de près leur évolution.
Vice-présidente des « Amis du Musée national d’art moderne » du Centre Pompidou, elle est aujourd’hui membre d’honneur du conseil d’administration des Amis du Centre Pompidou. Dès 1968, Denyse Durand-Ruel pointe une lacune fondamentale : ces artistes qui bousculent les codes de l’art manquent d’archives solides. Le mouvement des Nouveaux Réalistes s’est formé autour d’une idée forte : celle de réintroduire le réel dans l’art. Ils récupèrent, compressent, accumulent, transforment. Arman assemble des objets du quotidien en séries, César sculpte à partir de ferrailles compressées, Yves Klein fait de la couleur un manifeste, Jacques Villéglé découpe les affiches lacérées, Raymond Hains déconstruit la société de consommation… Mais ces pratiques nouvelles s’accompagnent d’une fragilité : sans traces, sans inventaires rigoureux, leur travail risque d’être mal compris, dispersé, falsifié.
« Je veux que mes œuvres soient des témoins de leur époque, des fragments de vie capturés avant qu’ils ne disparaissent », affirmait Arman.
Denyse Durand-Ruel prend alors son rôle d’archiviste à cœur. Elle commence par aider Jean-Pierre Raynaud et Jean-Claude Farhi à organiser leurs documents. Bientôt, Arman et César la sollicitent. Son exigence et sa méthode la rendent incontournable. Dans son bureau du Manoir Buzenval, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), conçu par Raynaud lui-même, elle classe, conserve, recoupe. Elle établit les bases d’une mémoire solide pour ces artistes en perpétuelle recherche. Son travail aboutit à la publication de catalogues raisonnés qui deviennent des références. En 1991 paraît celui d’Arman, suivi en 1994 d’un second volume. César, Raynaud auront aussi les leurs. Ces ouvrages – près d’une vingtaine – assurent l’authenticité des œuvres, les protègent des erreurs et des contrefaçons.
« Mon père avait un œil, ma mère avait la rigueur, celle de l’ingénieure qu’elle a transposée dans son activité », témoigne François, l’un de ses deux fils. L’aîné, Christophe, dirigera le département d’art contemporain chez Christie’s, tandis que François, bien que tourné vers l’aviation, deviendra un collectionneur averti. Aujourd’hui encore, dans les accumulations d’Arman, les compressions de César ou les structures de Raynaud, on peut retrouver l’empreinte de son travail, discret mais essentiel à l’histoire de l’art.