En plein cœur chez Guerlain : quand Delphine Jelk fait parler les œuvres par le parfum

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Pierre et Gilles, "Amour défunt (Sylvie Vartan et Johnny Hallyday)", (2007) Photographie imprimée par jet d’encre sur toile et peinte

Chez Guerlain, l’amour se respire avant de se dire. Pour l’exposition En plein cœur, présentée dans l’écrin historique du 68, Champs-Élysées, la parfumeure de la Maison, Delphine Jelk, a imaginé un parcours olfactif inédit : une traversée sensorielle où les œuvres des trente artistes invités deviennent autant de matières premières à interpréter. Ici, la vue se double du nez, l’art se décline en fragrance, et l’hédonisme retrouve sa pleine mesure.

Portrait de Delphine Jelk par Adeline Mai

L’expérience se vit comme une fusion des sens. Chaque œuvre trouve sa résonance dans un parfum, parfois existant, parfois créé pour l’occasion. « J’ai découvert les œuvres et j’ai échangé avec les artistes, puis à nouveau regardé les œuvres afin de les traduire en odeurs », confie Delphine Jelk, parfumeure chez Guerlain. À la faveur du dispositif imaginé par Mazen Nasri et son studio Magique, le visiteur chemine dans un univers où l’art devient palpable, presque comestible. L’odorat, longtemps relégué au second plan dans l’histoire de l’art, s’impose ici comme vecteur d’émotion primaire, intime et charnel.

« Rendre le visuel olfactif dans une même démarche artistique », Delphine Jelk

RongRong & inri célèbrent l’union à travers une photographie où deux êtres fusionnent. Jelk répond par une fragrance intrigante, mêlant chambre noire, chimie et sensualité. Une odeur d’argentique, déroutante et pourtant envoûtante.

Damien Moulierac, lui, explore l’odeur même : sa sculpture végétale suspend des cœurs liquides, traduits en parfum par des sécrétions imaginaires, un jeu entre attraction et répulsion.

Chez Omar Ba, l’amour s’ancre dans le rituel. Son œuvre inspirée du mariage africain convoque citron, muscade, rose et terre humide (retour aux origines, à la matière vivante).

Iván Argote façonne deux langues en bronze, fusion silencieuse d’un baiser. Jelk répond par une senteur métallique et sucrée, paradoxale et sensuelle.

Françoise Pétrovitch évoque les amours adolescentes : le parfum s’ouvre sur une fraîcheur d’agrumes, se love dans un cuir doux, et reste librement unisexe.

Le parcours olfactif de l’exposition En plein coeur élargit le champ du sensible.

Morgane Ortin, créatrice du compte Amours solitaires, fait résonner les voix des amoureux anonymes via des téléphones disséminés. Son parfum, tout en transparence, évoque l’odeur des larmes, cristallisant la fragilité des sentiments.

Marion Flament compose des chapelets de céramique ornés de symboles (abeille, flèche, clé), autour d’un parfum solaire et miellé, hommage au savoir-faire Guerlain.

Valentin Ranger associe son Heart’s Choir au tendre Petit Guerlain, comme une madeleine d’enfance.

Liu Bolin, maître du camouflage, rend hommage à La Petite Robe Noire dans un champ de roses où il disparaît, tandis que Pierre et Gilles célèbrent Sylvie et Johnny dans une œuvre funéraire vibrant de La Chamade, amour éternel et dramatique.

Et, en filigrane, l’esprit de Louise Bourgeois plane : fidèle à Shalimar, son parfum fétiche, elle incarne cette fusion du désir, de la douleur et du sacré.

Ce parcours hédoniste inédit est aussi une méditation sur le temps : cent ans après sa création, Shalimar devient le fil d’Ariane d’une réflexion sur l’amour éternel et la mémoire des sens. À travers les correspondances entre effluves et images, Guerlain rappelle que le parfum, comme l’art, ne s’explique pas — il se ressent. Dans En plein cœur, chaque senteur devient une caresse, chaque œuvre un écho charnel. Le plaisir n’est plus un simple regard : il s’incarne dans l’air, invisible et persistant.

En plein cœur, Maison Guerlain, 68 avenue des Champs-Élysées, Paris
Commissariat : Delphine Jelk & Mazen Nasri