« Longtemps je me suis couché de bonne heure », aurait pu dire le soleil au sortir de l’hiver. Et moi, je pourrais ajouter que ma vie suit la sienne puisque, hors de sa belle lumière, je me volatilise. Il faut un rayon plutôt indirect, un rai oblique, pour que j’apparaisse, suspendue dans l’air doré du soir, infime, grain opaque et pourtant brillant comme du mica dans les derniers feux du jour, et si discret que l’on ne me voit presque jamais, sauf à y regarder de suffisamment près pour, méditant depuis l’aube sur le destin commun, me prendre pour exemple de toute humilité.
Poussière. Tel est mon nom, et je ne sais où l’on retourne lorsque l’on est, vraiment, poussière : vers d’autres poussières ? Vers le Rien ?
L’humilité, un mot venant de l’humus, la croûte terrestre dans ce qu’elle a de plus tendre et fragile, à l’instar de l’adama hébraïque dont fut formé Adam. J’aime à penser que je suis née au sol et que le vol bref dont la moindre brise me gratifie, est un élan incomparable, l’arche souveraine de la phrase qui m’a créée, la teneur d’un chant qui m’élève en même temps que bien d’autres de mes congénères.
– est-ce cela, être ensemble ?
– oui, oui, peut-être simplement ce souffle qui nous prend la main, au même moment …
– et toi, à quoi rêves-tu à cet instant ?
– -à la vie qui me traverse, à la vie qui nous fait vivre …
Alors, nous-grains, nous-improbables-résidus, pourrions nous voir quasi réunis dans ce soulèvement, à l’image d’un chœur qui danserait plus qu’il ne chante, et s’affranchirait de toute pesanteur dans l’instant de l’expir ?
Pourquoi le nier ? C’est sans aucun doute en raison de mes origines terriennes que ces lévitations engendrent chez moi les rêves les plus fous. Parce que je ne peux rien, ou si peu, parce que je suis cet être minuscule dans la main du temps, j’imagine être aussi autre chose et posséder plus d’une vie : fleur, cristal, abeille, ou encore galet, feuille, oiseau, ou luciole, ou flocon de neige … Tant de ces vies me tentent, pourvu qu’il soit question de partager un chant, dans le souffle éphémère du vent.
