Rencontre avec Agatha Ruiz de la Prada : « Je voulais être peintre »

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Styliste prodige de la Movida espagnole, Agatha Ruiz de la Prada, née en 1960, « agathise le monde » depuis bientôt quarante ans, le transformant en un univers coloré et joyeux, au rythme de trois événements par semaine. Le Patio de la Infanta à Saragosse accueille une exposition présentant près de 60 créations d’Agatha, incluant des robes, des costumes et des sacs conçus entre 1984 et 2022, jusqu’au 28 juillet 2025.

Lancement d’une gamme de parapluies, inauguration d’une fresque, défilé de mode enfantine, production lyrique pour enfants… Entre Buenos Aires, Barcelone, Madrid, Paris, Milan et New York, portrait d’une artiste rayonnante, haute en couleur, à la carrière foisonnante.

DE L’AUDACE, DE L’INVENTION FORMELLE

« Mon père, architecte madrilène, avait la plus grande collection d’Espagne d’art contemporain, confie Agatha Ruiz de la Prada. Petite, j’adorais dessiner, peindre. J’ai eu la chance de commencer à travailler dans les années 80, j’avais alors 20 ans et la Movida célébrait la fin du franquisme avec une extraordinaire liberté de ton, celle d’Almodovar notamment. » Après avoir étudié à l’Ecole des Arts et Techniques de la mode de Barcelone, Agatha ouvre sa première boutique à Madrid à 21 ans. Très vite, elle se fait remarquer pour son style réjouissant d’une très grande inventivité. Etoiles, cœurs, motifs élémentaires, aux couleurs vives, esquissés, coloriés. Cinq ans plus tard, elle accède aux podiums internationaux. Depuis, la jeune femme à l’imagination débridée n’a cessé de se libérer des diktats de la mode. « Pour moi la couleur, c’est naturel, explique t-elle. J’ai horreur du noir, signe absolu du totalitarisme. » Elle l’exclut de toutes ses collections. Personnage anarchique, éclectique, figure majeure de l’avant-garde sous toutes ses formes, Agatha Ruiz de la Prada habille aussi bien Barbie pour fêter les 50 ans de cette célèbre poupée que le lapin communicant Nabaztag ou encore la page d’accueil de Google.

« JE VOULAIS ETRE PEINTRE ! »

Les costumes d’Agatha Ruiz de la Prada rappellent ceux imaginés par Picasso pour les Ballets Russes. Les formes géométriques de ses robes, celles de Miro ou de Sonia Delaunay. A son génie créatif s’ajoute l’humour. Il y a du surréalisme dans ses collages fantaisistes, du Meret Oppenheim dans ses objets décalés aux éléments hétérogènes. Certains de ses modèles sont des citations d’artistes qu’elle admire tels que Andy Warhol, Antoni Tapiès ou Eduardo Chillida… L’exposition « Hommage à Chillida, collection de robes » inspirée du grand sculpteur basque est présentée au Musée National Reina Sofia de Madrid en 1997. « Moi, je voulais être peintre ! » proclame-t-elle. C’est aussi en véritable sculptrice et performer qu’elle crée ses robes et organise les défilés de ses collections. En 1999, à Paris, avec le fleuriste Christian Tortu, Agatha imagine un bouquet de robes fleuries. Happening de l’éphémère. Lors de ses défilés, la trublion de la mode madrilène transforme et détourne les accessoires les plus simples : en robe-cage, robe-muraille, robe-escalier, robe-croissant de lune, robe-brindilles, robe-cerceau… Le tissu gonfle, s’arrondit, s’allonge, se soulève, se plisse, se casse. Enfin, suivant la tradition établie à Madrid depuis 1993, Agatha accueille deux fois par an à Paris, dans son magasin-galerie de la rue Guénégaud, des artistes espagnols qui l’émeuvent, autour de projets concrets et réalisés en collaboration : les « AGATHA +… »

« SA CREATION EST SON JARDIN DE BATAILLE »

Carrelages, serviettes de bain, téléphones, chaussures, lunettes, vases, collections de vaisselle, parfums, casques de moto, portes blindées, pinces à épiler… Tous ces accessoires de mode et objets de décoration sont des prétextes à créer. Autant d’espaces à « agathiser ». Un univers merveilleux où les petites filles sont des princesses. D’un coup de baguette magique, Agatha devient leur fée. « Pour le défilé la mère, la fille, la poupée », je n’ai pas fait de différence entre les habits pour adultes et ceux pour enfants, précise t-elle. Pour autant, je ne transforme pas les filles que j’habille en lolitas. » Son projet artistique est ailleurs. Il est dans l’approche poétique du vêtement et la mise en abîme de l’enfance où tout est encore possible. « Sa création est son jardin de bataille », écrit le poète Fernando Arrabal à l’occasion de la rétrospective qui lui a été consacrée à Roubaix en 2009. Enfin, généreuse, engagée, Agatha Ruiz de la Prada répond aux combats les plus isolés. Depuis 2003, elle participe à l’opération « Frimousses de Créateurs », une vente aux enchères de poupées de créateurs au profit de l’Unicef. En 2009, elle a crée un nounours pour Action Innocence et une collection de pochettes de préservatifs dans le cadre de la Journée Mondiale de Lutte contre le SIDA. Et en 2010, c’est le siège du Secours Populaire qui vibrera aux couleurs d’Agatha Ruiz de la Prada, A comme azur, R comme rose et P comme pistache…

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