La fondation Louis Vuitton à Paris consacre une rétrospective au Britannique David Hockney. Plus de 400 œuvres retracent soixante-dix ans de création, avec un accent porté sur les vingt-cinq dernières années. Un parcours sensible, vibrant, où le regard du peintre se fait témoin de la lumière, des saisons et, surtout, de la joie de peindre. Jusqu’au 30 aoüt 2025.
« Do remember they can’t cancel the spring» (« Souviens-toi qu’ils ne peuvent pas effacer le printemps»). Cette phrase, griffonnée par David Hockney en mars 2020 au début de la pandémie de Covid-19, résonne aujourd’hui comme une déclaration de résistance, un manifeste coloré contre la morosité du monde. Elle ouvre David Hockney 25, la rétrospective d’une ampleur inédite que consacre la Fondation Louis Vuitton à l’artiste britannique, avec plus de 400 œuvres présentées. Plus qu’un hommage global à sa carrière, l’exposition explore avec intensité les 25 dernières années de sa création, période foisonnante où son regard s’est tourné, avec constance, vers la nature et la lumière.
Depuis 2019, une immersion sensorielle dans la nature
En s’installant dans le Pays d’Auge normand en 2019, David Hockney entame un nouveau chapitre de son œuvre : rural, contemplatif, mais loin d’être nostalgique. Il s’inscrit dans la tradition du paysage anglais, de Constable à Turner, tout en la réinventant grâce aux outils numériques et à une audace chromatique profondément contemporaine. Ses grandes frises, comme A Year in Normandie, conçue sur iPad, rappellent les Nymphéas de Monet par leur déploiement immersif et narratif.
Dans cette frise longue de 80 mètres, la campagne normande devient le théâtre d’un cycle de métamorphoses. Mais Hockney ne peint pas seulement la nature : il donne à voir le regard qui s’éveille à ses rythmes. Les saisons passent, les motifs évoluent, mais la peinture reste, comme une manière de capter le vivant dans sa respiration même.
Chez Hockney, la couleur est vibration. Roses saturés, verts acides, bleus électriques, jaunes éclatants… Sa palette, d’une extrême diversité, transpose l’émotion visuelle et la joie de surprendre, malgré l’infinie répétition du thème. Mais cette couleur n’est pas un simple effet : elle constitue un langage autonome, une manière d’affirmer la beauté du monde dans sa complexité, sa mobilité, sa lumière. Chaque teinte devient un acte de résistance à la fadeur, à la grisaille, au désenchantement.
Les bouquets de fleurs, motif intime et récurrent dans son œuvre, condensent cette énergie. Peints à l’huile, dessinés au crayon, composés sur iPad ou iPhone, ils saisissent la beauté fugace d’un vase posé sur une table, d’une tige qui se penche, d’une corolle qui s’ouvre. Rien de spectaculaire, mais une attention extrême à la variation, à la vibration, au tremblement. Parfois, les fonds se font neutres pour faire éclater les masses colorées ; d’autres fois, ils sont animés de motifs graphiques ou de jeux d’ombre. Chaque bouquet devient un microcosme de sa peinture, une recherche sur la perception, la lumière et la composition.
Une nuit intensément colorée : la poésie discrète du silence
Parmi les œuvres les plus récentes et marquantes du parcours, les paysages nocturnes occupent une place (et une salle) à part. Hockney y explore une palette plus sourde, presque électrique, où les cieux indigo, les feuillages noirs aux reflets violets, les ombres bleues et les halos lumineux percent l’obscurité. Loin du romantisme noir, ses nuits vibrent d’un calme habité, d’une densité lumineuse rare. Il y a là une poésie discrète du silence : un arbre solitaire sous un ciel mauve, une route vide baignée d’un halo jaune, une maison faiblement éclairée derrière un bosquet. Ce n’est pas la nuit en soi qu’Hockney peint, mais ce qu’elle rend possible : l’intimité, l’attention, la présence au monde. Il renouvelle ici le genre du nocturne sans jamais tomber dans l’abstraction ni le décoratif. La nuit devient espace de contemplation.
« La joie de créer est inépuisable »
La rétrospective illustre la liberté absolue avec laquelle David Hockney traverse les formats et les techniques. Il ne cesse d’explorer, d’inventer, de se réinventer. Dessins au crayon, peintures à l’huile, œuvres numériques sur tablette, installations vidéo immersives… Sa curiosité reste intacte, son désir de renouvellement, insatiable. Mais cette plasticité ne l’éloigne jamais de ses obsessions fondamentales : la nature, les intérieurs, les portraits, les piscines. Ces thèmes ne sont pas des sujets figés, mais des vecteurs pour expérimenter les perceptions. A Bigger Splash (1967), Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) (1972) ou Bigger Trees Near Warter (2007) sont présentés en regard de ses œuvres récentes, révélant une constance de regard dans une métamorphose picturale permanente.
Van Gogh, Vermeer… Les maîtres du passé, toujours présents
Hockney, tout en étant radicalement contemporain, n’a jamais renié ses racines. Il revendique l’influence des grands maîtres. Van Gogh avant tout, dont l’ombre plane sur ses paysages récents. De l’artiste néerlandais, il retient la puissance du trait, l’audace des perspectives, la foi dans la nature et surtout cette idée que « la couleur a une dimension morale ». Il dira d’ailleurs : « Van Gogh l’a compris mieux que quiconque. » Ses filiations sont multiples : la rigueur spatiale de Piero della Francesca, les intérieurs silencieux de Vermeer, la liberté de Matisse, la fulgurance de Picasso. Hockney regarde, démonte, réinvente. Il ne copie pas, il dialogue. Il engage une conversation visuelle à travers les siècles avec ces figures tutélaires, nourrissant son œuvre sans jamais la figer dans un héritage.
La mise en scène a été pensée comme une autobiographie visuelle
Conçue avec Jean-Pierre Gonçalves de Lima, directeur du studio Hockney, l’exposition suit un parcours à la fois chronologique et thématique. Chaque salle déploie un chapitre, une période, une obsession. Le tout compose une forme d’autobiographie picturale. A plus de 80 ans, l’artiste cocntinue de dessiner chaque jour. Cette rétrospective en est la démonstration éclatante. Elle ne se contente pas de retracer une carrière : elle révèle un artiste habité par une vitalité picturale qui défie le temps.
Aude Seyssel
Informations pratiques
• Dates : du 9 avril au 31 août 2025
• Lieu : Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris
• Horaires : 11h–20h (fermé le mardi), nocturne le vendredi jusqu’à 21h
• Tarifs : 16 € (plein tarif), 10 € (moins de 26 ans), 5 € (moins de 18 ans)
• Réservations : fondationlouisvuitton.fr