Orléans présente le « Panier de fraises des bois », trésor intimiste de Chardin

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Le Musée des Beaux-Arts d’Orléans présente Le Panier de fraises des bois (1761) de Chardin, un chef-d’œuvre intimiste inscrit au cœur des collections du Musée du Louvre. Jusqu’au 11 janvier 2026.

Jean-Siméon Chardin (1699-1779) occupe une place singulière dans l’histoire de la peinture française. À une époque dominée par le grand spectacle baroque, les grands formats mythologiques et les allégories, Chardin choisit de peindre l’ordinaire. Ses natures mortes, ses intérieurs, ses humbles objets du quotidien sont d’une sobriété et d’une sincérité inédites. Il transcende la simplicité matérielle par une virtuosité subtile : la lumière, les tons, les textures, sont portés par un dépouillement presque méditatif, offrant un équilibre parfait entre matière et espace. Chardin a inspiré des générations d’artistes : son influence s’étend jusqu’aux impressionnistes et aux modernes. Sa maîtrise des masses chromatiques et de la lumière, son sens de la composition profondément équilibrée, trouvent un écho chez Manet, Renoir ou encore Cézanne, qui ont reconnu en lui l’un des précurseurs de la modernité picturale.

Le Panier de fraises des bois : une toile mythique

Peint en 1761, le Panier de fraises des bois (38 × 46 cm) proposé exceptionnellement aux visiteurs du Musée des Beaux-Arts d’Orléans, est l’un des joyaux tardifs de Chardin. Comme le précise le catalogue des collections du Louvre, il représente un « haut tas conique de fraises des bois dans une corbeille, un verre d’eau, une pêche, deux cerises et deux œillets blancs », disposés sur une table de bois. Que l’on ne s’y trompe pas ! Derrière l’apparente simplicité de cette composition, l’œuvre témoigne d’une perfection technique : Chardin maîtrise les masses, joue avec les transparences et les reflets, et parvient à conférer une présence palpable aux fruits. À 62 ans, Chardin atteignait alors la maturité, utilisant ces motifs les plus simples pour exprimer la quintessence formelle de son art. Un point d’aboutissement dans la production de l’artiste selon le critique Pierre Rosenberg.

L’histoire récente de cette œuvre est presque aussi fascinante que la peinture elle-même. Le 23 mars 2022, le Panier de fraises des bois a en effet été mis aux enchères chez Artcurial et a atteint la somme de plus de 24 millions €, bien au-delà de son estimation. Un résultat record non seulement pour Chardin, mais aussi pour une nature morte française du XVIIIᵉ siècle. Aussitôt, devant le risque d’une exportation hors de France, le tableau avait été classé « trésor national » par le ministère de la Culture, déclenchant le droit de préemption. Grâce à une mobilisation sans précédent, le Louvre a alors pu l’acquérir officiellement le 12 mars 2024, après une campagne de levée de fonds orchestrée dans le cadre de son programme “Tous Mécènes !” : près de 1,6 million d’euros ont été collectés auprès d’environ 10 000 donateurs, complétés par un mécénat d’entreprise significatif, notamment celui de LVMH. Ce succès illustre non seulement l’attachement du public français à son patrimoine, mais aussi la reconnaissance de la valeur culturelle et symbolique de cette toile.

Quel est le lien avec la ville d’Orléans ?

Ce retour au musée des Beaux-Arts de la ville d’Orléans n’est pas purement symbolique : il s’appuie sur une histoire profondément enracinée. L’œuvre appartenait en effet depuis le XIXᵉ siècle à la famille Marcille, en particulier François Marcille (1790-1856). Ce dernier, issu d’une famille de grainetiers en Beauce, s’était passionné dès les années 1820 pour les maîtres du XVIIIᵉ siècle oubliés. Il constitua ainsi l’une des plus importantes collections de son temps, avec environ 4 500 œuvres, incluant une trentaine de Chardin. Après sa mort, sa collection a été répartie entre ses fils : Camille, conservateur à Chartres, et Eudoxe, directeur du musée d’Orléans de 1870 à 1890, qui fit du musée un lieu de rayonnement en réorganisant les collections et en suscitant de nombreux dons.

Le Panier de fraises des bois constitue donc la pièce maîtresse de la collection de la famille Marcille. L’exposition « Les Chardin des Marcille. Une passion orléanaise » rassemble autour d’elle six autres œuvres, provenant de la même collection, et prêtées par les descendants, ainsi que d’autres institutions. Parmi elles, des natures mortes prêtées par le Musée Jacquemart-André à Paris ou le Musée de Picardie. Sans oublier l’Autoportrait aux bésicles (1773), acquis par le musée d’Orléans en 1991, et déjà cher aux Orléanais. Le foulard à carreaux que Chardin porte dans cette œuvre est en effet un cadeau fait à l’artiste par Aignan-Thomas Desfriches (1715-1800), un entrepreneur influent qui contribua à faire d’Orléans un centre artistique au XVIIIᵉ siècle. C’est cette continuité que l’exposition d’Orléans met en avant grâce à la ténacité d’Olivia Voisin, directrice du musée. Cette restitution symbolique et temporaire célèbre cette passion orléanaise qui a contribué à sauvegarder l’héritage de l’artiste.

Aude Seyssel