Parcourir l’exposition « Et soudain… le champagne ! », c’est suivre la trace d’un éclat, celui d’un vin devenu symbole d’art de vivre et de célébration. À Épernay, le musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale raconte, à travers 210 objets et trois siècles d’images, la construction d’un mythe hédoniste. Un récit où la table, le goût et la fête s’entrelacent en miroir de la société française. Du 15 octobre au 6 avril 2026.
Installé dans le château Perrier, le musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale d’Épernay déploie son exposition temporaire dans un écrin architectural du XIXᵉ siècle, aux murs traversés d’histoire. Sous la direction de Laure Ménétrier, le lieu conjugue rigueur muséale et plaisir des sens. L’exposition « Et soudain… le champagne ! Représentations, usages et sociabilité », présentée du 15 octobre 2025 au 6 avril 2026, célèbre le 10ᵉ anniversaire de l’inscription des Coteaux, Maisons et Caves de Champagne au patrimoine mondial de l’UNESCO. « Explorer la sociabilité et l’image du champagne, ses représentations et son rôle culturel, c’est ce que propose l’exposition », explique la commissaire. De la table des rois aux affiches Art déco, des salons parisiens aux bars des années 1950, le champagne s’est bâti comme un langage social, un théâtre des plaisirs.
Pour comprendre cet enracinement culturel, le musée de Champagne et d’Archéologie régionale d’Épernay a invité l’historien Patrick Rambourg, spécialiste des pratiques culinaires, à décrire dans le catalogue de l’exposition le goût du champagne du XVIIᵉ au XVIIIᵉ siècle. Dans son texte intitulé « De la cuisine à la table, le goût du champagne des années 1670 au siècle des Lumières », il rappelle combien ce vin fut très tôt un signe de distinction.
« Tout commence dans les dernières décennies du XVIIᵉ siècle, avec l’apparition d’un vin nouveau qui va très vite faire fureur auprès des élites », Patrick Rambourg
Dans les salons du Grand Siècle, la mousse est promesse d’éclat ; elle annonce la modernité. L’historien montre que, dès les années 1670, le champagne devient l’un des plaisirs de cour : un vin qu’on goûte, qu’on commente, qu’on associe à la cuisine raffinée. « Ce qui distingue le champagne des autres vins, c’est son succès rapide en cuisine, servant à parfumer des mets prestigieux. » Ce que montre l’étude de Patrick Rambourg, c’est la double vie du champagne : boisson et ingrédient. Dès le XVIIᵉ siècle, il entre dans les livres de recettes et gagne les tables aristocratiques. Les cuisiniers des Lumières s’en emparent comme d’un signe de modernité. « En 1691, le vin de Champagne n’apparaît pas encore dans les recettes, mais il finit par intégrer les appellations de plats », note-t-il. « Filets de truites au vin de Champagne, soles au vin de Champagne, poulets en fricassée au vin de Champagne… » Ce glissement du verre à l’assiette est décisif : il consacre le vin comme matière de goût. En le cuisinant, on l’élève au rang d’ingrédient noble, d’élément de style. Dans les trois tomes des Dons de Comus (1739), François Marin évoque cette recherche de légèreté qui s’oppose aux lourdeurs médiévales. Cette évolution culinaire accompagne celle des mentalités : « Les chefs des Lumières étaient dans une constante recherche de nouveauté et de créativité. »
Le champagne n’est pas seulement un goût : c’est une image. Depuis le XIXᵉ siècle, les grandes maisons ont compris le pouvoir du visuel. Les affiches de Cappiello, les campagnes Moët & Chandon ou Veuve Clicquot, les chromos, les cartes postales de fêtes villageoises ou les clichés mondains participent d’un même imaginaire : celui du plaisir partagé. L’exposition accorde une place importante à ces représentations : on y découvre notamment la première affiche de Pierre Bonnard en 1891 – elle aurait inspiré Toulouse-Lautrec – des lithographies, des photographies de dîners de gala, des menus illustrés, mais aussi des extraits de films où le champagne joue son rôle fétiche — des comédies muettes aux publicités télévisées. Le médium évolue, le symbole demeure : l’éclat d’un instant. Dans cette galerie d’images, la bulle devient motif esthétique : sphère de lumière, vibration du temps, métaphore du plaisir fugace. Au terme du parcours, le visiteur comprend que le champagne est moins un vin qu’un langage : une « anthropologie du boire », et par extension, une grammaire du bonheur.