Man Ray : « Je peins ce que je ne peux pas photographier »

« Facile est beau sous tes paupières comme l’assemblée du plaisir… » Ces vers de Paul Eluard rencontré en 1921 ont inspiré à Man Ray (1890-1976) photographe et cinéaste américain, ces silhouettes de femmes entre ombre et lumière. Gants blancs saisis au vol…. « Je photographie ce que je ne désire pas peindre, expliquait Man Ray, et je peins ce que je ne peux pas photographier. » En associant le visage ovale de sa muse avec un masque africain, le photographe Man Ray crée une image iconique.Dans les années 20, Paris est en fête. La capitale des arts attire les artistes du monde entier. L’Américain Man Ray en fait partie. Sous l’influence de son ami Marcel Duchamp à New York, l’artiste de trente ans fait le voyage pour la France en 1921. Son atelier est situé au cœur du quartier animé de Montparnasse. C’est là qu’il rencontre Alice Prin.

Devenue son amante et sa muse, l’actrice réputée, appelée « Kiki de Montparnasse » lui présente le tout-Paris. Man Ray s’intéresse aux objets. S’il s’est lancé dans la photographie, en tant que plasticien, c’est parce qu’il n’était pas satisfait des clichés de ses peintures faits par d’autres. Cadrage, lumière, contraste… Il comprend que la technique peut être détournée de façon créative. Son premier portrait photographique original, « Violon d’Ingres », réalisé en 1924, contribue à le faire connaître. Kiki de Montparnasse y apparaît nue, de dos, avec les ouïes d’un violon au creux des reins. La modèle, habituée des peintres, ne voulait pas poser ainsi, ayant peur de se prêter à une réalité trop crue. Pourtant, elle poursuit l’aventure.

C’est ainsi qu’en 1926, Kiki de Montparnasse figure dans « Noire et blanche », une photographie publiée pour la première fois dans l’édition française du magazine Vogue. George Sakier, le directeur artistique, incite à l’époque Man Ray à créer des compositions innovantes. La similarité formelle entre le visage de la jeune femme et le masque africain n’est pas fortuite. Les deux ovales, penchés l’un sur l’autre, entrent en dialogue. Il y a similarité de statut. En effet, le masque-portrait traditionnel baoulé, produit en Côte d’Ivoire, est souvent commandé à un sculpteur pour rendre hommage à un membre du village et honorer ses qualités. Lors d’une cérémonie, le porteur du masque est accompagné de la personne qu’il célèbre ou d’un remplaçant. Dans la série de photographies intitulée « Noire et blanche », Man Ray met ainsi au même niveau son modèle vivant et son double. Véritable emblème de la négritude dans un contexte de post-colonialisme, l’œuvre devient très vite iconique.

Le saviez-vous ? En arrivant aux Etats-Unis, la famille Radnitzky, immigrée de Russie, décide de changer son nom en Ray en réaction à l’antisémitisme ambiant. De son vrai nom, Emmanuel Radnitsky, le surnom Manny devient « Man ». L’artiste Man Ray était né.

Près de cinq cents œuvres retracent les recherches formelles de Man Ray au Palais Lumière à Évian-les-Bains (Haute-Savoie). L’exposition monographique met l’accent sur la pluralité des médiums et la grande créativité de cet artiste connu avant tout pour ses « rayogrammes », ces clichés obtenus à partir d’un objet posé entre le papier et la source lumineuse. Par l’entremise de sa muse, Kiki de Montparnasse, Man Ray fréquente l’avant-garde artistique dont il devient l’une des figures de proue. Sa production est foisonnante et compte près de quarante mille œuvres.
Man Ray (1890-1976), Maître des Lumières
Palais Lumière d’Evian
Du 1er juillet au 5 novembre