Moderne Art Fair 2025 : le bleu en tension sur le stand de la galerie Smagghe

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A l’occasion du salon Moderne Art Fair 2025 (ex Art Elysées), installé place de la Concorde à Paris, la galeriste Véronique Smagghe a mis la couleur en tension. Au centre du stand, un morceau de palissage et une affiche arrachée de Raymond Hains, Bleu dans le rouge, dialoguent avec une série de toiles de Noël Pasquier. Ensemble, elles composent une méditation sur le bleu : une couleur devenue matière de pensée, et vibration. Du 23 au 26 octobre.

Le regard se pose d’abord sur Raymond Hains. Le bleu, chez lui, n’est pas un aplomb tranquille. Il surgit dans la déchirure, dans un océan de rouge, dans cette tension presque organique du papier lacéré. Bleu dans le rouge (1970) semble né d’un combat, d’un hasard que l’œil de l’artiste a su transfigurer en équilibre. Les strates d’affiches, arrachées à la ville, portent encore la rumeur de la rue. Mais c’est le bleu qui retient. Il apaise le rouge, le fend, l’adoucit. Ce bleu fragile, blessé, obstiné, continue d’exister dans les failles. La galeriste Véronique Smagghe évoque cette nécessité de laisser la matière respirer, de lui permettre d’inventer son propre rythme. Chez Hains, dit-elle, la poésie surgit du hasard, mais c’est un hasard préparé, cultivé, comme si la rue savait ce qu’elle devait lui confier.

« L’accrochage est né de télescopages inattendus », confie Véronique Smagghe qui a toujours défendu cette poétique du réel : une approche de l’art moderne où le signe, la trace et la couleur sont chargés de mémoire. Depuis près de 30 ans, elle tisse un lien constant entre les Nouveaux Réalistes et les peintres de l’abstraction lyrique. Elle voit dans cette filiation un dialogue discret, une manière de relier la matérialité du monde et la profondeur du geste pictural. C’est ce fil qu’elle prolonge en 2025 à Moderne Art Fair, en plaçant côte à côte Hains et Pasquier, deux artistes qui n’ont jamais cessé de faire vibrer le bleu autrement. Son accrochage, pensé comme une respiration, cherche moins à juxtaposer qu’à accorder. Elle parle d’une conversation chromatique, d’une correspondance silencieuse entre deux formes de liberté.

Chez Noël Pasquier, figure de l’abstraction lyrique, la couleur devient matière vivante. Ses bleus ne sont jamais figés. Ils se déplacent, s’éclaircissent, se creusent. Dans Etrave 1 (1995), un grand carré de toile semble traversé d’un souffle d’ombre, une empreinte bleue qui fait trembler la lumière. On retrouve dans ses gestes l’héritage d’une peinture de l’émotion, héritière d’Olivier Debré, mais filtrée par une recherche personnelle du rythme. Pasquier peint comme on écoute la mer : avec cette attention au battement, à la nuance, au retour. Véronique Smagghe le suit depuis longtemps. Ce qu’elle aime dans son travail, c’est cette fidélité à la peinture comme acte intérieur, cette persistance à chercher dans la couleur une parole non dite.

Le choix du bleu n’est pas anodin. On le retrouve également à travers cette pépite, une aquarelle de Vera Molnár. Dans l’histoire de l’art, la couleur a connu des renversements de sens, des métamorphoses profondes. Dans son livre « Bleu » (2023), Michel Pastoureau le rappelle : longtemps méprisé dans l’Antiquité, le bleu est devenu au Moyen Âge la couleur du sacré, celle du manteau de la Vierge, du ciel, de la loyauté. Au XIIIᵉ siècle, il devient une couleur noble, celle des rois de France, avant d’incarner la mélancolie romantique et, plus tard, la modernité abstraite. Le bleu est la couleur de la pensée plus que de la conquête. Contrairement au rouge, orgueilleux et sonore, le bleu parle bas, mais longtemps. Il n’envahit pas, il s’infiltre. C’est peut-être pour cela que les artistes qui le choisissent, de Klein à Pasquier, en font une matière de silence et de transcendance. Cette idée du bleu comme espace mental se retrouve dans l’ensemble du stand.

« Le bleu ne vient jamais seul : il prend sens dans la présence des autres couleurs. » Michel Pastoureau

Moderne Art Fair place justement le dialogue entre héritage et création au centre de sa programmation. Installée en 2025 place de la Concorde, la foire réunit près de 50 galeries, dans un espace repensé pour la fluidité du parcours et la clarté du regard. C’est dans cette atmosphère d’équilibre entre modernité et mémoire que la galerie Smagghe s’inscrit avec naturel. Son approche curatoriale, soutenue par la commissaire et critique d’art Véronique Grangé-Spahis, s’accorde à la philosophie de la foire : un art moderne qui reste vivant dans ses prolongements contemporains.

Véronique Smagghe revendique une fidélité : celle à la scène française d’après-guerre, aux artistes qui ont su inventer une autre manière de voir. Depuis 1990, elle défend des figures qui partagent une même tension entre matière et signe : Raymond Hains, Jacques Villeglé, François Dufrêne, mais aussi Pierrette Bloch, Arthur Aeschbacher, Noël Pasquier, Judith Wolfe. Ce sont des artistes du lien, du fragment, du souffle. Elle dit souvent qu’elle cherche la part de poésie dans la rigueur. Elle croit que l’art n’a pas à séduire, mais à faire écho. Ce qu’elle montre à Moderne Art Fair, c’est justement cela : une manière d’être au monde à travers la couleur. Le bleu devient ici langage commun, pont entre deux démarches qui ne s’étaient jamais rencontrées mais se répondent intuitivement.

https://moderneartfair.com/