Les Insolations de Gilles Barbier : l’empreinte solaire à l’épreuve du temps

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Gilles Barbier - série Les Insolations (2019)
Gilles Barbier - série Les Insolations (2019)

Dans le cadre de la « Solar Biennale », le Mudac à Lausanne (Suisse) accueille les Insolations de Gilles Barbier, une série d’œuvres où le soleil devient le médium principal. Loin d’un simple jeu d’empreintes lumineuses, ce travail interroge les rapports entre le corps, le temps et la matière, dans une approche où la technique rejoint une réflexion profonde sur l’image et son apparition. Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains (MUDAC), de l’équinoxe de printemps à l’équinoxe d’automne, du 21 mars au 21 septembre 2025.

Une technique à contre-jour

Depuis 2016, Gilles Barbier explore une méthode singulière : exposer du papier au soleil pour y graver des figures humaines par l’action des UV. Chaque dessin est réalisé par un procédé patient et incertain : l’artiste recouvre certaines zones de caches, laissant d’autres absorber la lumière. Après une ou deux semaines d’exposition, la surface se transforme lentement, révélant une teinte miel qui inscrit le passage du temps sur la matière.

Mais ce rituel solaire n’est pas sans heurts. La météo devient un paramètre imprévisible : les jours de pluie altèrent les caches et provoquent des bavures, tandis que l’hiver force l’artiste à trouver une alternative. C’est ainsi qu’en 2021, Barbier détourne une lampe à bronzer pour poursuivre la série, créant des Winter Drawings qui prolongent le concept au-delà des saisons.

Le corps à l’épreuve de la lumière

Les Insolations de Gilles Barbier se déclinent en plusieurs œuvres, où la figure humaine, dans des poses variées, se dessine en négatif sur le papier. Ces compositions ne sont pas simplement des empreintes : elles évoquent l’effacement progressif, la persistance rétinienne et la mémoire visuelle. Les figures apparaissent comme des vestiges lumineux, des ombres fossilisées par l’astre solaire.

En capturant la lumière comme on capte un instant, Gilles Barbier déplace la notion même de dessin. Il ne s’agit plus de tracer une ligne, mais de révéler une présence par une absence, d’inscrire une forme par son contraire. Ce processus, où le temps devient pigment, fait écho à d’autres pratiques photographiques primitives, comme les cyanotypes ou les photogrammes. Mais ici, aucun produit chimique, aucune émulsion sensible : seul le soleil comme pinceau, et l’ombre comme encre invisible.

Présentées au Mudac dans le cadre de la « Solar Biennale« , les Insolations résonnent avec les problématiques contemporaines de la lumière, de sa matérialité et de son interaction avec notre perception. Un dialogue subtil entre la puissance invisible du soleil et la fragilité du papier, entre le visible et l’effacé, entre le fugace et l’empreinte.

La tradition renouveléedu nu dans l’art

Le travail de Barbier s’inscrit également dans une longue tradition de la représentation du nu dans l’histoire de l’art. Depuis les figures idéalisées de l’Antiquité grecque aux corps fragmentés de Rodin ou aux distorsions d’Egon Schiele, le nu est un motif central, oscillant entre contemplation et transgression. Dans les Insolations, le corps humain devient un réceptacle de lumière, une présence révélée par l’ombre. Cette approche fait écho à des démarches contemporaines comme celle de la collection Naked, lancée par les éditions Janninck en 2001, où chaque artiste est invité à livrer une vision personnelle du nu à travers des techniques variées. Ainsi, l’expérimentation lumineuse de Barbier rejoint une réflexion plus large sur la manière dont le corps est inscrit dans la matière et le temps.

Comme le rappelait Platon, « Le soleil non seulement éclaire les objets visibles, mais leur donne aussi la vie. » Dans le travail de Gilles Barbier, cet astre est plus qu’une source d’illumination : il devient un agent créatif, un révélateur de formes et de mémoire, inscrivant sur le papier la trace d’un passage éphémère. Une métaphore subtile du temps qui brûle et imprime, tout en évoquant l’énergie primordiale qui façonne notre perception du monde.

> Le site de Gilles Barbier studio-gilles-barbier.fr

> Dessin en une : Summer Drawing #2 (Femme de dos allongée), 2016, Soleil sur papier. 57 x 42 cm