À la Galleria Continua, Berlinde De Bruyckere sculpte le besoin et la fragilité

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Exposition "Need" - Berlinde De Bruyckere - Galleria Continua (Paris)

Pour sa première exposition personnelle en France, l’artiste belge investit la Galleria Continua à Paris avec « Need », un ensemble de sculptures en cire et matériaux organiques où la chair devient métaphore du manque. Entre gravité et grâce, Berlinde De Bruyckere façonne des figures blessées, suspendues entre l’humain et le sacré, et interroge la vulnérabilité comme condition essentielle du vivant. Jusqu’au 30 décembre 2025.

Figure majeure de la scène artistique internationale, l’artiste de 61 ans déploie ici une œuvre où la matière et la chair racontent le besoin, ce « need » qui traverse son travail depuis trois décennies. À travers sculptures, couvertures, cire, bois et métal, Berlinde De Bruyckere explore la tension entre la vie et son absence, l’animé et l’inanimé, dans un univers qui oscille entre sacré et profane. L’exposition « Need » s’ouvre sur Palindroom (2019), monumentale sculpture de latex suspendue, évoquant un utérus artificiel. L’artiste y aborde la création du vivant, non par la génération mais par la substitution : une matrice sans vie, un féminin vidé de son pouvoir fécond. Cette ambiguïté, ce paradoxe entre élan vital et stérilité, constitue le cœur du travail de l’artiste. Nourries par la peinture flamande, ses œuvres sont autant d’ex-voto adressés à la fragilité du corps humain.

« La forme change, non la douleur. »
(Métamorphoses, IX, 163)

Les Métamorphoses d’Ovide traversent en filigrane l’œuvre de Berlinde De Bruyckere. L’artiste y puise une vision du corps comme matière en transition, toujours sur le seuil entre vie et disparition. Comme chez le poète latin, la transformation naît ici de la douleur : les figures se tordent, se plient, se recouvrent, cherchant une nouvelle forme d’existence. Cette référence n’est pas illustrative, mais symbolique. Berlinde De Bruyckere prolonge la logique d’Ovide : brouiller les frontières entre l’humain, l’animal et le végétal. Ses sculptures, mi-chair mi-cire, incarnent cette hybridité du vivant. L’ange, le cheval ou le tronc d’arbre deviennent des variations d’un même corps universel, traversé par la mémoire, la souffrance et le désir de survivre.

« Je sens que je me change, mais en quoi, je ne sais. » (Métamorphoses, X, 238)

Parmi les œuvres majeures présentées, L’Archange cristallise la tension centrale du travail de Berlinde De Bruyckere : celle entre force et vulnérabilité. Une figure à la fois protectrice et déchue, dont la majesté se plie sous le poids de sa propre aile. Loin des représentations célestes idéalisées, l’archange de De Bruyckere révèle ce qui se cache « en dessous de l’aile » : la chair, la faille, l’humanité nue. Son corps, plié, semble céder à une gravité intérieure. La cire, traversée de nervures et de plis, donne à la sculpture une texture organique, presque douloureuse. L’aile, lourde, descend jusqu’au sol, rappelant un manteau trop pesant. L’Archange n’est plus tant un messager du ciel, mais une incarnation terrestre du besoin, celui de tenir debout malgré la blessure. Chez Berlinde De Bruyckere comme chez Ovide, la chair est un langage : celui du changement, irréversible et nécessaire.

> www.galleriacontinua.com