Sous la verrière du Carreau du Temple à Paris, cet ancien marché couvert typique de l’architecture métallique du XIXème siècle, une scène à la fois brute et élégante se dessine avec Drawing Now Paris qui revient pour sa 18e édition. L’effet est immédiat : on entre dans une bulle vibrante, un mini-Grand Palais où le dessin contemporain affirme haut et fort sa vitalité. Jusqu’au 30 mars.
La foire Drawing Now Paris rassemble 71 galeries internationales et quelque 300 artistes. Une dynamique d’ensemble s’en dégage, entre énergie printanière, effervescence visuelle et audace créative. Ici, le dessin n’est pas figé dans une tradition, il respire, évolue, surprend. Le printemps est partout, dans les gestes, les formats, les expérimentations. Romain Bernini, lui, place le visiteur face à une nature saturée, immersive, presque hallucinée. Un monde végétal où le regard se perd, entre peinture et dessin, on ne sait plus très bien. C’est justement cette porosité des frontières qui rend cette édition si stimulante. Le dessin se fait volume, image en mouvement, langage poétique. Et les artistes déjà établis ne sont pas en reste. Le collage vif et pop d’Erró, ou les polaroïds sur papier d’Erik Dietman, conservent une insolence juvénile. Leurs œuvres donnent le ton : rester inventif, résister à l’usure du temps. Le papier, chez eux, devient territoire d’expérimentation continue. Ce qui frappe surtout, c’est l’équilibre réussi entre générations, styles et formats. Le salon ne se contente pas d’aligner les stands, il offre une respiration, un rythme. Le parcours se vit comme une promenade – on y cueille des idées, des surprises, des récits.
Mon coup de cœur va sans conteste au surprenant et talentueux Jan Voss qui propose une œuvre tout en jeu et en matière : un grand canevas mural sur lequel il a épinglé une constellation de mini toiles. Chacune d’elles abrite un visage peint, expressif, fulgurant, comme capturé au vol. Le tout forme une sorte de théâtre fragmenté, un patchwork de portraits qui semble dialoguer en silence. On retrouve là la touche joyeusement désordonnée de Voss, sa manière de faire vibrer la surface, de convoquer le dessin dans une construction plastique plus vaste. C’est une œuvre généreuse, qui mêle spontanéité, ironie et rigueur formelle. Comme une mémoire collective éclatée, accrochée à même le mur.
Parmi les révélations, Sylvain Le Corre impressionne avec ses paysages de ruines imaginaires, entre mémoire et reconstruction, tandis que Sławomir Elsner détourne les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art avec une précision colorée, presque hypnotique, au crayon de couleur. Deux démarches opposées, mais qui prouvent que le dessin, loin d’être mineur, peut rivaliser en puissance avec les médiums les plus spectaculaires. Sylvain Le Corre captive avec des dessins d’une virtuosité discrète mais saisissante. À seulement 30 ans, il impressionne par la maturité de sa vision. Ses architectures ruinées, à mi-chemin entre la fiction archéologique et le souvenir flou, semblent émerger d’un passé imaginaire. Quant à Sławomir Elsner, le Polonais recompose des tableaux iconiques (Edouard Manet – en ouverture de cet article). Chez Elsner, le crayon ne copie pas, il révèle. Chaque trait, chaque surface travaillée devient un acte de réinterprétation. Ce n’est plus l’histoire de l’art, c’est une lecture intime, sensorielle, exigeante. Une œuvre à la fois savante et profondément sensible.
Le dessin contemporain, dans ce printemps parisien, confirme qu’il est bien plus qu’un support. Il est un terrain d’insolence, de réflexion, d’émotion. Et Drawing Now Paris en est, cette année encore, le cœur battant.
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