L’exposition Mascara.des, présentée à la Fondation du Doute à Blois, s’attaque à une question ancestrale et pourtant toujours d’actualité : qu’est-ce qu’un masque ? Simple artifice de dissimulation, révélateur d’une identité cachée ou construction sociale de soi ? Les six artistes rassemblés ici explorent la pluralité du masque sous toutes ses formes, interrogeant ce qui se joue entre l’apparence et l’être, entre le collectif et l’individuel. Jusqu’au 31 mai.
« On nous intime souvent l’ordre d’être authentique. Qu’est-ce que le vrai aujourd’hui ? », s’interroge Gilles Rion, directeur de la fondation du doute à l’origine de l’exposition. Le masque est au cœur de l’anthropologie et de la philosophie. Il est cet objet paradoxal qui, tout en recouvrant un visage, en révèle une vérité autrement inaccessible. Comme l’écrivait Claude Lévi-Strauss : « Le masque ne cache pas, il révèle. » L’exposition Mascara.des propose une immersion dans cette dialectique à travers des œuvres qui, loin de s’en tenir à une simple iconographie du masque, s’attachent à montrer son rôle fondamental dans nos existences.
Le corps social et la métamorphose
Stéphane Goldrajch envisage la création comme un corps social. Son œuvre participative matérialise cette vision : constitué de morceaux de crochets noir et blanc, un bonhomme en costume accueille le visiteur. Derrière lui, un paysage fait d’aquarelles et de visages tissés au crochet. « Lors de mon voyage au Japon, au fur et à mesure que je me déplaçais et rencontrais des gens, une identité s’est créé autour de ce personnage », raconte l’artiste. Aux passants, il leur demande : Quel est votre Yōkai préféré ? Dans l’imaginaire japonais, les Yōkai sont des esprits ou des créatures hybrides dotées de pouvoirs surnaturels. Goldrajch construit ainsi une légende. Ici, le masque n’est pas un simple objet posé sur un visage, mais une construction collective qui donne corps à une identité mouvante. Il rappelle que le masque est toujours le produit d’un échange, d’un dialogue, d’un rite social. Cette idée rejoint celle du philosophe Ernst Cassirer, pour qui « l’homme est un animal symbolique », créant sans cesse des formes pour exprimer son rapport au monde. Le masque, en tant que médiateur entre l’individu et le groupe, est une de ces formes fondamentales.
L’altérité et le jeu de l’identité
Avec ses autoportraits, Messieurs Delmotte se place dans une interrogation directe sur le rapport entre identité et altérité. Son visage bardé de tranches de lard ou grimé en clone d’Andy Warhol exprime un questionnement fondamental : si nous sommes constamment en train de performer notre identité, qui sommes-nous vraiment ? L’artiste semble mettre en scène la célèbre formule de Rimbaud : « Je est un autre. » Derrière chaque masque, il y a un autre masque. Une autre version de soi. Une multiplicité de facettes qui, loin de brouiller l’identité, en révèlent la complexité. Le masque n’est plus ici un simple objet de dissimulation, mais un instrument d’exploration, un révélateur du soi par l’altérité. Sommes-nous la somme monstrueuse de tous nos personnages ? En nous multipliant, nous diffractons-nous au point de perdre toute unité ? Dans le corpus de Dominique Théate, le catcheur, figure masquée par excellence, incarne cette tension entre le rôle social et l’être intérieur. Il n’existe qu’à travers une mise en scène, un personnage, une identité performative.
Mascarades et mémoires collectives
Charles Fréger, avec sa série Cimarron, met en lumière les mascarades des descendants d’esclaves africains. Ici, le masque devient porteur de mémoire. Entre maquillage, parures et dissimulations, il est un vecteur d’identité collective. Il ne s’agit plus seulement d’un jeu d’individualité, mais d’une inscription dans l’histoire, dans le rituel, dans la transmission. Cette dimension rituelle du masque rejoint la pensée de Roger Caillois : « Le masque n’est jamais neutre ; il est toujours sacré. » Qu’il soit carnavalesque, théâtral ou religieux, il engage celui qui le porte dans une transformation qui le dépasse. En endossant le masque, l’individu accède à une autre réalité, il incarne une autre existence, un autre temps. Issu d’une famille de cirque, Romuald Jandolo, de son côté, détourne cette sacralité par une inversion carnavalesque. En s’inspirant des figures emblématiques Ku Klux Klan, l’artiste met en tension l’histoire du masque comme outil de domination et son pouvoir de subversion. L’ambivalence du masque est ici pleinement assumée : il peut être un instrument de libération autant qu’un moyen d’oppression.
L’image du réel et son double
Enfin, Aurore-Caroline Marty joue avec l’idée du double en puisant dans sa « kitschotech ». Sa pantoufle de verre, façonnée artisanalement, n’est pas qu’un simple objet féerique : elle crée un décor et questionne la manière dont nous construisons nos représentations du merveilleux et de l’identité. Qu’est-ce qu’un masque sinon une construction imaginaire qui nous donne accès à une autre version de nous-mêmes ? Comme le disait Carl Gustav Jung : « L’homme porte tant de masques qu’il risque d’oublier lequel est le sien. » L’exposition Mascara.des ne propose pas seulement une réflexion sur l’art du masque, elle interroge notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes. L’exposition Mascara.des est une traversée de l’identité à travers ses multiples jeux de reflets. Loin d’être un simple accessoire, le masque apparaît ici comme un élément fondamental de notre rapport au monde : il est un espace de transformation, un seuil entre l’individu et le collectif, un outil de mémoire et d’exploration. L’exposition rappelle, avec justesse et pertinence, que nous sommes tous des êtres masqués, en perpétuelle construction, naviguant entre notre image sociale et nos identités intérieures. Le masque n’est pas un mensonge ; il est une vérité en mouvement. Un moyen de se perdre pour mieux se retrouver.