Fabienne Verdier à la Cité de l’architecture : MUTE ou la gravité du silence

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Dans la nef de pierre du Trocadéro, l’air porte une odeur froide, presque poudreuse. Celle de la pierre médiévale. Les reliefs gothiques, à demi effacés par le temps, murmurent une présence immobile. Entre eux, les toiles monumentales de Fabienne Verdier vibrent comme des voix muettes. L’exposition Mute, conçue par Matthieu Poirier à la Cité de l’architecture et du patrimoine, fait dialoguer l’abstraction gestuelle de l’artiste avec la solennité des portails romans et des drapés sculptés. Jusqu’au 16 février 2026.

“Mute” ou la polysémie du silence

« Dans l’allée profonde, la lumière oblique est calme ; la porte paisible, les saules hauts se dispersent. » Ce vers du poète chinois Wang Wei (701-761) semble flotter dans la galerie. Le silence n’est pas absence, mais tension contenue. Chez Fabienne Verdier, il devient matière. Le geste suspendu, la trace du pinceau-pendule, la vibration du fond sont autant de respirations. Formée à la calligraphie en Chine, Fabienne Verdier a transfiguré cet héritage pour s’affranchir du signe. L’écriture devient flux, l’idéogramme s’ouvre au cosmos. Son art évolue de manière circulaire, non linéaire : chaque cycle revient sur un motif ancien, en quête d’une essence dynamique du monde. Ses toiles ne représentent pas, elles incarnent le mouvement. Chaque trait, chaque vortex est le fruit d’une tension entre gravité et élévation, entre contrôle et lâcher-prise. L’artiste parle d’une “contemplation des forces que nous entendons” : le vent, le flux, le souffle… pour en extraire “des formes essentielles, minimales”.

Fabienne Verdier « Vide vibration n° 7 » (2017)

Le titre, « Mute », joue sur le double sens anglais de “muet” et de “mutation”. Il évoque la métamorphose silencieuse de la matière, la mutation du geste en forme, du son en silence. L’exposition invite à écouter la peinture sans mots, à ressentir sa résonance physique. Dans ce dialogue entre l’art contemporain et la pierre du Moyen Âge, le silence devient actif, porteur d’énergie. Comme une onde invisible entre deux temps : celui des bâtisseurs et celui du geste contemporain. Parmi les moments de grâce, Trilogie (2018) s’impose comme une pièce charnière. Sur un fond bleu profond, vibrant et nuancé, la peintre déploie trois grands gestes calligraphiques, à la fois libres et maîtrisés, qui semblent suspendus entre ciel et terre. Ce bleu n’est pas décoratif, il agit comme une couleur matricielle, un espace de recueillement où le mouvement pictural devient acte spirituel. Chaque geste est une expérience d’élévation, héritée de son long apprentissage auprès des maîtres calligraphes chinois. Ainsi, dans Trilogie, le bleu rappelle le sens du sacré, non pas au sens religieux, mais comme une présence intérieure.

Dans la Galerie d’architecture médiévale, l’exposition prend tout son sens. Les architectes du Moyen Âge travaillaient, eux aussi, avec la gravité : le fil à plomb répond aujourd’hui au pinceau pendule. Les forces naturelles qu’ils cherchaient à rendre visibles dans la pierre trouvent un écho dans les tourbillons de peinture de l’artiste. La scénographie, déployée sur 1 450 m², épouse cette résonance : un archipel de formes serpentines, sans angle droit, guide le regard entre les œuvres et les portails sculptés. Les toiles semblent émerger des reliefs, comme si la peinture poursuivait la sculpture dans l’espace.

>Le site de Fabienne Verdier fabienneverdier.com