Rome, 2025. La capitale italienne est en pleine ferveur caravagesque. Jamais depuis la mort de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage (1571-1610), tant de ses œuvres n’avaient été réunies dans sa ville d’adoption. L’exposition « Caravaggio 2025 » au Palazzo Barberini rassemble plus de la moitié de ses peintures connues, soit plus d’une vingtaine, venues du monde entier. Une occasion unique de plonger dans l’univers incandescent d’un peintre à la vie brève, à l’œuvre fulgurante. Jusqu’au 13 juillet.
Une Rome en clair-obscur
Au cœur de l’exposition ‘Caravage 2025″, un parcours chronologique retrace la trajectoire du peintre milanais qui révolutionna l’art sacré. Au Palais Barberini, on découvre le « Portrait de Maffeo Barberini » (1598), jamais montré au public avant l’automne dernier. Le futur pape Urbain VIII y apparaît jeune, intense, tendant un bras vers le spectateur comme pour briser les siècles. Ce face-à-face réunit deux ambitieux : Caravage a alors 27 ans, Barberini 30. Un portrait audacieux, d’une intimité brute.
L’accrochage s’ouvre sur une claque visuelle : « La Conversion de saint Paul » (1600-01), commandée puis rejetée par le juriste Tiberio Cerasi. Dans ce tumulte de membres enchevêtrés, de casques, d’un cheval cabré, le Christ jaillit vers Saul avec une force physique inédite, une scène biblique ancrée dans notre monde, que l’époque jugeait impensable.

Parmi les œuvres marquantes figure le « Jeune Bacchus malade » (vers 1593), un autoportrait au sourire fragile réalisé peu après son hospitalisation. Ce visage blafard, les lèvres bleuies, les feuilles de vigne fanées contrastent avec l’idéal classique du Bacchus triomphant. La sensualité y est troublée, presque morbide. C’est l’un des tout premiers témoignages de sa manière : une peinture de l’ambiguïté, de la chair souffrante. Le voir dans ce contexte renforce l’idée d’un Caravage vulnérable, hanté dès le départ par la mort.
Une peinture du doute et du désir
Ce qui saisit dans ce parcours, c’est la densité humaine. Caravage ne peint pas des idées, mais des êtres : des prostituées, des jeunes apprentis, des amants, des pauvres. Ses modèles viennent des rues de Rome, et cela se voit. Il transforme les récits sacrés en scènes de chair, d’ombres, de blessures. Son ami Cecco apparaît partout, du jeune joueur trahi dans « Les Tricheurs » à l’ange consolant François d’Assise dans un nocturne bouleversant.

Caravage, in situ
Quinze autres tableaux majeurs du Caravage, visibles dans leur lieu d’origine, prolongent la célébration. À l’église Saint-Louis des Français, le cycle de saint Matthieu attire les foules. Il comprend « La Vocation de saint Matthieu », « L’Inspiration de saint Matthieu » et « Le Martyre de saint Matthieu », fresques d’autel d’une intensité dramatique rare. Le clair-obscur y devient langage spirituel. C’est là que le jeune Jorge Mario Bergoglio, futur pape François, venait souvent prier. Aujourd’hui, l’émotion y est intacte.
À Sant’Agostino, deux euros suffisent pour illuminer « La Madone des pèlerins » : la Vierge et l’Enfant dans un porche, pieds nus, salués par deux miséreux, une scène qui résonne avec la pauvreté des rues romaines actuelles. Le Vatican, lui, dévoile exceptionnellement La Mise au tombeau dans toute sa puissance funèbre.
Caravage a eu des suiveurs, des imitateurs, des ennemis. Mais il reste sans égal. Son génie fut d’introduire l’incertitude dans l’image sainte, de mêler l’idéal au trivial, le sublime au sordide. Rome le célèbre comme un prophète moderne, un peintre du doute et du désir. Et en 2025, c’est toute la ville qui devient musée : les rues, les églises, les palais racontent son histoire.













