C’est une pièce d’une charge symbolique exceptionnelle, un chef-d’œuvre d’artisanat militaire, et un témoin direct du destin impérial : le sabre de Napoléon Bonaparte offert à Emmanuel de Grouchy, dernier maréchal nommé sous l’Empire, a été vendu aux enchères dans un élan de fascination patrimoniale. Confectionné par Nicolas-Noël Boutet à la Manufacture de Versailles, ce sabre de prestige daté des années 1803-1804 incarne à la fois le pouvoir, l’esthétique et la propagande impériale.
Offert par Napoléon à Grouchy en 1815, lors des Cent-Jours, l’arme n’est pas qu’un objet de reconnaissance militaire : elle est un sceptre déguisé. Grouchy, souvent éclipsé par les grands noms de l’épopée napoléonienne, fut pourtant l’un des fidèles du Consulat à l’Empire, nommé maréchal juste avant la chute. Lors de son exil aux États-Unis, il confiera le sabre à sa sœur Charlotte Félicité de Grouchy, épouse du philosophe Cabanis, scellant ainsi la continuité d’un pan de l’histoire impériale à travers la lignée familiale.
Le sabre marie raffinement décoratif et langage du pouvoir. Sa monture de vermeil s’inspire des influences orientales, dite « à la Marengo », clin d’œil à la célèbre victoire de 1800. La croisière, dominée par une tête de Méduse coiffée du lion de Némée, encadrée de quillons terminés par têtes de béliers et chiens mythologiques, mêle la brutalité des mythes antiques à l’esthétique néo-classique. La calotte en forme de lion stylisé et la triple gourmette complètent un dispositif ostentatoire, fait pour impressionner.
La lame damas est une œuvre d’art à elle seule : signée « Manufacture De Klingenthal Nal Coulaux Frères », datée de l’an XI, elle porte les marques du graveur Isch. Les cartouches gravés en or figurent Napoléon à cheval, des dieux ailés, Hercule ou Mars, et célèbrent le Premier Consul devenu mythe en action. L’inscription « NAPOLÉON BONAPARTE » d’un côté, « PREMIER CONSUL » de l’autre, transforme l’arme en manifeste politique.
Le fourreau en galuchat gris, garni de vermeil, prolonge l’excellence de l’ensemble. La chappe porte la signature prestigieuse de Boutet, maître armurier des cours européennes. Palmettes, têtes de lions, motifs géométriques et acanthes y rappellent l’imaginaire gréco-romain, cher à l’Empire. Chaque détail — lyres, fleurons, écailles — témoigne de l’ambition d’un pouvoir qui voulait tout magnifier, jusqu’à l’arme même.
Estimé 1 million, vendu 4,7 !
Présenté par l’expert Bertrand Malvaux, spécialiste des armes historiques, le sabre avait été estimé à un million d’euros. Il a finalement été adjugé à 4,7 millions d’euros à Drouot, un montant exceptionnel qui reflète autant la valeur patrimoniale de l’objet que la rareté de ce type de pièce, directement associée à Napoléon lui-même. Cette vente signe l’un des plus hauts prix jamais atteints pour une arme impériale.
Au-delà de l’enchère, c’est la résurgence d’une mémoire que cette vente remet au cœur du débat. Objet de guerre, mais aussi d’art et de transmission, ce sabre renvoie aux alliances entre création, politique et légende. Dans un moment où les objets impériaux suscitent autant de fascination que d’interrogations sur l’usage mémoriel, cette adjudication souligne combien le sabre n’est pas qu’une relique : il est la matérialisation d’un imaginaire toujours vif.
En rendant à la lumière ce sabre unique, les enchères n’ont pas seulement exhumé une arme, mais un fragment vivant de l’histoire de France. Une phrase de Napoléon résonne : « Il n’y a que deux puissances au monde : le sabre et l’esprit. » Ce sabre réunit les deux.