Quand les Surréalistes se tournèrent vers l’Océanie : la collection méconnue de Georges Goldfayn chez Berthet-Aittouarès

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Après leur passion première pour l’art africain, André Breton et ses compagnons surréalistes ont porté leur regard plus à l’est, vers les archipels de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Trop hiératiques, trop solennelles à leurs yeux, les sculptures africaines ont cédé la place à des objets plus expressifs, plus spontanés : ceux de Nouvelle-Irlande, de Nouvelle-Guinée ou des îles voisines. C’est dans cette veine que s’inscrit la collection de Georges Goldfayn, ancien assistant et ami proche de Breton, aujourd’hui mise en lumière par la galerie Berthet-Aittouarès à Paris.

Art océanien : deux objets phares, témoins d’un art spirituel et joyeux

La galerie présente notamment un Kulap, statue funéraire en craie provenant de Nouvelle-Irlande, et un masque à igname, utilisé lors des cérémonies de moisson. Ces deux objets, datés du XIXe siècle (voire du début du XXe), sont emblématiques de l’esthétique océanienne, colorée et animée par une vitalité que les surréalistes ont très tôt reconnue. « Le Kulap, cet objet rituel façonné à la main avec des outils traditionnels, était destiné à abriter l’esprit du défunt, soulignant le lien profond entre les vivants et les morts », explique Emeline Bril, assistante de direction à la galerie Berthet-Aittouarès, experte en éthologie. Le visage souriant du kulap, ses teintes vives, ses gravures délicates sur le sommet du crâne révèlent une expressivité rare dans les arts funéraires, loin des visages figés de nombreuses sculptures africaines. Quant au masque à igname, confectionné en vannerie et recouvert de pigments colorés (dont un blanc symbolique), il jouait un rôle central lors des fêtes de moisson.

Georges Goldfayn : un collectionneur gardien de l’âme surréaliste

Longtemps resté dans l’ombre de Breton, Georges Goldfayn s’est affirmé comme un véritable connaisseur de l’art océanien. Fasciné par la diversité plastique et spirituelle de ces objets, il a constitué une collection cohérente, centrée principalement sur la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Loin du silence imposant de certaines pièces africaines, l’art océanien frappe par sa vivacité, son expressivité directe. Les visages souriants, les couleurs vives, les formes souples dégagent une forme de gaieté, parfois presque ludique, qui a su séduire les surréalistes en quête d’un art brut, spontané, affranchi des canons occidentaux.

La collection Georges Goldfayn témoigne d’un goût étendu, à la croisée de l’ethnographie, de la poésie visuelle et de l’avant-garde. Elle comprend ainsi une poupée kachina, figure rituelle des peuples hopis et pueblos du sud-ouest des États-Unis, mais aussi deux toiles d’Hervé Télémaque, le dernier des peintres surréalistes, datées de 1962, s’inscrivant dans la série new-yorkaises des aérolithes. À ces œuvres s’ajoutent une gouache de Gaston Chaissac, artiste autodidacte admiré des surréalistes pour son langage plastique brut et singulier, ainsi qu’un collage rare de Toyen, figure majeure du surréalisme tchèque, dont l’univers onirique et érotique a marqué l’histoire du mouvement.

Le catalogue de la collection contient l’un des derniers textes d’Annie Le Brun, poétesse, essayiste et grande figure de la pensée surréaliste contemporaine. Proche d’André Breton dès les années 1960, elle a perpétué l’esprit d’insoumission du mouvement, mêlant révolte poétique, critique de la rationalité marchande et défense de la liberté de création. Dans ce texte inédit, elle revient avec sa lucidité tranchante sur la puissance subversive de l’art océanien et sur ce que ces formes disent de notre besoin de merveilleux. Annie Le Brun écrit : « Une passion de la diversité dans laquelle Goldfayn aura dépensé sans compter autant son énergie sensible que ses remarquables moyens conceptuels. »

Odile Aittouarès, une mémoire en héritage

C’est Odile Aittouarès qui présente cette collection historique. Les objets ne sont pas actuellement exposés dans l’espace principal de la galerie, mais conservés dans son bureau personnel, situé au fond du lieu, ancien bureau du galeriste Pierre Loeb, un espace intime de la rue de Seine chargé d’histoires et de transmissions. En effet, la galerie Pierre fut l’un des premiers bastions parisiens du surréalisme, avec des expositions pionnières de Miró, Max Ernst ou de Chirico. En présentant la collection Georges Goldfayn dans un espace aussi chargé de sens, Odile Aittouarès tisse un lien sensible entre l’histoire du surréalisme, les mondes extra-occidentaux, et la vitalité contemporaine de la création. Un héritage vivant, transmis de main en main, d’œil en regard.
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