Plongée dans l’écriture sincère et si juste de La Faille de Blandine Rinkel, m’apparait un lien avec Martin Parr, le photographe qui empoigne le quotidien avec non moins de compromis.
Par Sylvie Hazebroucq
Et pourtant, une forme de tendresse émerge ici aussi.
En posant les questions habituellement cachées sous le tapis, l’autrice réussit paradoxalement à rétablir le souffle. Cet exploit littéraire dénoue le nœud des angoisses de certains dimanches au poulet rôti en famille, sans en briser totalement le charme. Blandine Rinkel compose une tribu en (nous) écrivant, rassemble ceux qui ne peuvent plus rien avaler sans s’interroger sur leurs goûts propres. De cette anorexie bien réelle et symbole du haut le cœur, suinte le poids de la vie domestique entre les lignes comme il éclate dans cette photo de Martin Parr. Que racontent nos choix, quitte à faire un pas de côté du socialement aimable ?
La tente estivale sur cette plage protège d’un soleil qui ne brille pas, offre avec mollesse une carapace à l’intimité qui n’en a que le nom, le tout dans un espace apparenté quelques heures au foyer, sans doute. La maison est le refuge absolu, le terrain de toutes les sécurités, la rupture avec ce qui ne fait pas famille. Ce couple s’abrite mais de quoi véritablement ? Des autres ? Dans un repli qui n’entend que le lien du sang, et encore, si affinité, peut-être. La lecture du texte en parallèle bouleverse la notion même de famille devenue faille par une écriture ambiguë et trouble fête qui écrase le M, qui remet en question l’amour obligé, donc. L’écrivaine décortique le drame de nos choix intimes quand ils ne résonnent pas avec la foi ancestrale du corps qui fait famille, ou l’inverse. L’acuité du malaise est bien là, entre deux fauteuils en plastique, entre deux extraits de films et de livres abondamment cités dans les lignes de Blandine Rinkel, à quel moment décidons-nous vraiment ? Le lien est un sujet artistique dont l’autrice pose les contours autour de ce qui en fait le drame : la norme. De cela s’empare également le photographe dans ses célèbres clichés, exposés dans les plus grands musées, que venons-nous chercher de nous-même au juste ?
Faut-il privilégier l’orgueil à l’amertume, suivant le questionnement de l’autrice, et à quel prix, c’est tout l’art de l’évaluation à laquelle nous pousse le photographe. La mer tiendra lieu de point commun mouvant, physique, horizontal entre le texte et la photo. Absente mais si présente chez Martin Parr, bouée de secours chez Blandine Rinkel, l’eau est la matrice première plus que jamais, celle qui pourrait être la fuite comme le retour. Le liquide induit le froid, le mouvement, les corps quasiment nus, un état foetal qu’on préfère peut-être regarder avec des lunettes de soleil, à défaut de regarder ailleurs.
Devant cette photo et dans ce livre, la fuite est prise en défaut, il est temps de grandir et de faire face. À la mer (e) ?
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