Mardi 24 juin 2025, 20h30. Le silence est dense dans la nef de Notre-Dame de Paris. Ce n’est pas seulement l’heure du concert, c’est un moment suspendu dans le temps : la cathédrale rouverte au public devient, pour la première fois depuis sa restauration, l’écrin d’un événement artistique à la mesure de son histoire. Sous la croix dorée de Marc Couturier, flamboyante et nue, le dialogue s’engage entre deux mondes séparés par sept siècles : la Messe de Nostre Dame de Guillaume de Machaut et Notre-Dame des Flammes de Thierry Machuel.
Tout d’abord, le lieu : l’intérieur de Notre-Dame, restauré dans son éclat initial, semble transfiguré. La pierre blanche, nettoyée de la suie et des ans, renvoie une lumière presque surnaturelle, comme si la cathédrale respirait à nouveau. Les nouveaux vitraux, solennels et discrets, diffusent une clarté froide, presque irréelle, qui souligne la verticalité du lieu. On perçoit encore, dans cette majesté retrouvée, le souvenir du drame de 2019.
Le concert débute avec les quatre voix masculines de l’ensemble Diabolus in Musica, a capella. La Messe de Machaut s’élève avec lenteur et majesté. Le Kyrie, long balancement d’appels et de réponses, installe une atmosphère d’archaïque beauté. On entend la science de l’Ars Nova dans le tissage complexe des lignes, dans cette manière presque mathématique de composer de la ferveur. Rien d’anecdotique ici : chaque son est sculpté dans l’air comme une offrande.
La voix de Marthe Vassallo surgit comme un cri contenu : grave, enracinée, presque terrestre. Elle chante en breton, en latin, en fragments. À ses côtés, Bruno Helstroffer passe sans ostentation du théorbe à la guitare électrique. Un grondement sourd, des nappes vibrantes, des échos métalliques : le feu n’est pas figuré, il est là, tangible.
Thierry Machuel ne juxtapose pas les époques, il les mêle dans un tissu sensible, fait de citations, de silences, d’éclats. Par moments, la polyphonie médiévale réapparaît (un motif du Gloria, une cadence du Sanctus) comme une mémoire qui refait surface. À d’autres, la musique semble s’effondrer, reprendre souffle, chercher une prière dans les cendres.
Dans le chœur, la croix dorée de Marc Couturier, suspendue dans l’espace, la seule oeuvre contemporaine qui a survécu aux flammes en raison de son bois ignifugé, devient plus qu’un symbole. Elle capte la lumière, attire le regard, agit presque comme une voix muette. Difficile de ne pas y voir un fil entre ciel et sol, entre la verticalité gothique de Notre-Dame et la fragilité du monde d’aujourd’hui.
Ce soir-là, Notre-Dame n’était ni un musée, ni un décor. Elle était ce qu’elle fut toujours : un cœur battant, une maison d’échos, une cathédrale des flammes et de la lumière.