Poésie & Chant choral : Fleurs de cerisiers par Thierry Machuel

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« Dieu sait si j’en ai attendu, des jours ! Interminables, oui ! Et puis, cette pression médiatique, sakura par ci, hanami par là, toutes les stations météo du Kansai à mes trousses, publiant bulletin sur bulletin, prévoyant le jour, l’heure, la minute même où j’allais sortir, comme si ce beau monde en connaissait plus que moi ou la Nature en personne ! Vrai, je ne savais plus où me mettre. Pas au bout de ma branche, en tous cas. D’ailleurs, cette agitation m’avait coupé l’herbe sous le pied comme qui dirait : je n’avais plus envie de fleurir. Je préférais rester cachée dans mon cocon douillet, au creux du bourgeon, sépales par-dessus tête. Et je n’étais pas la seule : dans le parc, on s’était toutes donné le mot : on ne bouge plus ! L’hiver avait même tenté de paresser chez nous encore un peu, mais là on s’est fâchées, pas question de recommencer à grelotter. On voulait juste encore un peu de temps. Et puis, le velouté des pétales, la clarté de ce rose presque blanc et notre chorégraphie qu’on préparait en secret depuis les frimas, notre grand chant floral unique en son genre, ça méritait bien un peu de patience, non ? »

Je ne pus qu’opiner du chef. De véritables divas, ces fleurs de cerisiers. Prunus serrulata. On vient les voir du monde entier, on achète son billet d’avion au dernier moment pour ne rien manquer de l’événement : alors je pouvais bien leur passer ce petit caprice … Ainsi donc, chacune sur son brin, sa brindille, son rameau, poussée par la croissance de l’arbre loin des branches charpentières, de plus en plus près du vide, bouton en équilibre instable sur le bout du bout, elles étaient en parfaite symbiose et déjà près de paraître : il suffirait d’un rien, une fraîcheur d’aube, une brise imperceptible, une lumière encore timide ou même une rosée pour donner le la, et alors, d’un coup, tout le peuple des fleurs viendrait à éclore, synchrone, explosion de blancheur couronnant les troncs centenaires, myriade féerique dont la canopée se fond dans la clarté des dernières étoiles, miracle aussi soudain qu’éphémère, monde éclatant de douceur ouvrant à l’autre monde avec l’évidence de l’absolue beauté.

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