Victor Hugo, l’homme qui voulait léguer ses ombres

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Les Archives nationales, à Paris, consacrent jusqu’au 26 janvier un nouveau chapitre de leur cycle Les Remarquables au testament de Victor Hugo. Une exposition que l’on aurait tort de croire confidentielle et réservée aux seuls inconditionnels du grand écrivain. Elle se révèle en effet beaucoup plus large que ne peut le laisser entendre son sobre titre, « Le Testament ».

À travers manuscrits, codicilles et documents familiaux, on y (re)découvre un Hugo minutieux, visionnaire, presque démiurge : celui qui, avant même sa mort, a tenu à orchestrer lui-même son entrée dans la postérité. À parcourir ces feuillets, où l’auteur des Misérables règle jusqu’à la couleur de son corbillard, c’est une autre dimension qui s’impose : celle d’un créateur total, pour qui l’écriture et le dessin relèvent d’un même souffle. Car si Hugo a bâti sa gloire sur la langue, il a aussi peint avec l’encre. Poète, romancier, dramaturge, il était aussi dessinateur, calligraphe, décorateur, faisant du papier un champ d’expérimentation absolu. Ses cinq testaments, rédigés entre 1864 et 1881, témoignent de cette exigence : organiser la transmission de son œuvre littéraire, mais aussi préserver ses manuscrits et dessins, légués à la Bibliothèque nationale. Hugo se percevait comme un créateur total, soucieux d’unir à jamais le verbe et la vision.

L’exposition des Archives nationales éclaire son testament de 1881 sous un jour nouveau. Loin d’être une simple formalité administrative, ce document, souvent cité pour sa formule fameuse (« Je désire être porté au cimetière dans le corbillard des pauvres ») apparaît comme un dernier poème. On y lit la foi, la révolte et la beauté du génie que fut Victor Hugo : Il lègue ses mots comme on lègue une œuvre d’art, conscient d’écrire à la fois pour ses héritiers et pour l’humanité.

Cette scénographie du legs, sobre et lumineuse, met en perspective l’homme public et une facette plus secrète de l’artiste. Car, derrière la solennité du testamentaire, c’est bien le Hugo dessinateur qui refait surface : celui pour qui la trace, qu’elle soit verbale ou visuelle, est un moyen de survivre à la mort. Ses dessins sont eux aussi des testaments d’encre. À travers eux, réalisés principalement durant son exil à Guernesey, Victor Hugo se révèle d’une audace stupéfiante. Loin de tout académisme, il invente un univers plastique fait d’encre diluée, de taches, de silhouettes spectrales, de ruines et de ciels chargés. Il peint parfois avec des allumettes, des bouts de dentelle, son propre doigt. Il laisse le hasard modeler la forme, bien avant que les surréalistes n’en fassent un principe.

Ses Burgs, ces châteaux fantomatiques du Rhin, semblent émerger d’un rêve gothique, ses Taches annoncent l’abstraction, ses ombres portées traduisent un rapport charnel à la nuit. Ce travail du noir et du flou est le miroir d’une pensée politique et métaphysique. Là où le texte dénonce la misère, la peine de mort ou l’injustice, le dessin en explore la part d’indicible. Dans Ecce Lex, un pendu flotte comme un reproche muet, dans Mushroom, la matière devient brouillard. À chaque fois, Victor Hugo transforme le dessin en acte : il rêve avec l’encre comme il agit avec les mots.

«Je donne tous mes manuscrits […] à la Bibliothèque nationale de Paris, qui sera un jour la Bibliothèque des États-Unis d’Europe.»

L’exposition rappelle ainsi que Victor Hugo fut sans doute l’un des premiers artistes modernes à brouiller les frontières entre les arts. Sa pratique du dessin prolonge la quête de ses poèmes : rendre visible l’invisible, dire la lumière à travers l’ombre. « Je rends à la mer ce que j’ai reçu d’elle », écrivait-il en parlant de son œuvre posthume. Cette phrase vaut aussi pour son œuvre graphique : une mer d’encre où se dissolvent les formes, mais où surnage, toujours, son amour de l’humain. Aux Archives nationales, entre le codicille de 1881 et les feuilles noircies de ses dessins, on découvre un Hugo traversé par le désir de faire œuvre du monde. Un legs immense, dont le testament n’est que la dernière page.

Aude Seyssel

INFOS PRATIQUES
Du 12 septembre 2025 au 26 janvier 2026
Du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30 / Samedi et dimanche de 14 h à 17 h 30
Le musée des Archives nationales – L’hôtel de Soubise – 60, rue des Francs-Bourgeois – 75003 Paris