Au Château du Rivau, dans le Val de Loire, la fantaisie ne prend pas de gants blancs. Avec Surprises, l’exposition visible jusqu’au 11 novembre 2025, Patricia et Éric Laigneau transforment leur collection en cabinet de curiosités grandeur nature, où le merveilleux flirte joyeusement avec le décalé. Bienvenue dans un château peuplé de licornes transpercées, de pelles médiévales héraldiques et de portraits de famille version baroque. Ici, le visiteur rit, s’émerveille… et s’interroge.
Un château théâtral pour une collection qui ne se prend pas au sérieux
« À chaque salle, le visiteur est invité à regarder de travers, à perdre ses repères, à se laisser surprendre« , explique Patricia Laigneau, commissaire de l’exposition et chef d’orchestre de Surprises. Le ton est donné dès l’entrée : en suspension, prête à bondir, une grenouille géante signée Bryan Crockett accueille le visiteur. Elle n’est pas en bronze ni en marbre, mais moulée dans des rebuts collectés dans la Loire : fragments de plastique, débris industriels, résidus de consommation. Une fable sculptée sur le monde d’aujourd’hui, entre clin d’œil environnemental et grotesque jubilatoire. Dans chaque salle, les œuvres jouent avec les codes de l’histoire de l’art – les détournent, les taquinent – comme si l’ensemble du château avait décidé de se déguiser pour le bal.
Le bestiaire fantastique de la Salle du Grand Logis
Ici, les cerfs parlent, les raquettes de ping-pong deviennent rennes de Noël, et les yeux empaillés fixent le visiteur depuis un miroir convexe signé Maarten Vanden Eynde. Nicolas Darrot ressuscite la légende de saint Hubert avec une bête animée, tandis que Bruno Pélassy transforme une sarcelle en reliquaire cristallin. Chaque œuvre redonne vie au vieux rêve de l’hybridation, entre fascination et ironie.
C’est également ici que se niche une sculpture d’une virtuosité sidérante : celle de Julie Legrand. Dans la vitrine, une tête craquelée, hérissée de poils et d’antennes en verre noir. Les cheveux de verre, sombres et hirsutes, semblent animés d’un souffle propre, comme une créature mi-animal, mi-végétal. D’une minutie extrême, l’œuvre dialogue avec l’exubérance de Pélassy, dans un duo éblouissant de fragilité et d’audace formelle.
Le grand théâtre des identités
La Salle des Dames bouscule les canons de beauté et d’héroïsme. De la Vénus de Botticelli métamorphosée par ORLAN, jusqu’à la Mona Lisa détournée en écran de veille par Pierre Ardouvin, les mythes féminins se déconstruisent avec panache. Le merveilleux devient ici un outil de critique et de réinvention. Petit frère de Katia Bourdarel, mi-femme mi-cerf, glisse vers le conte et questionne les frontières du genre et de l’humain.
Dans les salles dédiées à la Pucelle, l’irrévérence se mêle à la vénération. Charles Fréger et Julien Serve convoquent les ombres chinoises et le cinéma muet, tandis que Pierre et Gilles offrent à Jeanne les traits de Juliette Armanet. Les artistes brodent, peignent, sculptent et digitalisent l’héroïne nationale, dans un kaléidoscope d’interprétations où la sainte croise la pop star. Même les bottines de Jeanne, en porcelaine et laine d’acier (Violaine Laveaux), semblent sortir d’un rêve éveillé. La légende devient farce sérieuse, l’histoire se fait friandise pour l’œil et l’esprit.
L’art du clin d’œil comme posture curatoriale
Au Rivau, l’humour n’est jamais gratuit : il est un langage. Loin de désacraliser l’art, il l’ouvre à d’autres narrations, plus proches de l’enfance, du fantasque et de la magie. La collection assume une posture singulière : celle de l’érudition joyeuse, du goût assumé pour les croisements temporels et les plaisirs du décalage. On y croise aussi un fantôme hawaïen – celui de Gilles Barbier, qui hante la Salle des Dames avec ses Hawaiian Ghosts. Drapé dans un linceul aux motifs colorés comme prêt pour l’au-delà, ce spectre sans visage rappelle que la peinture, à l’instar du mort, ne cesse de revenir. Chez Barbier, le fantôme n’est pas triste ni effrayant, mais mélancolique et un brin moqueur : il flotte entre le visible et l’invisible, entre l’ancien monde de l’image peinte et les nouveaux territoires de l’art.
Surprises n’est pas une simple exposition, c’est un conte contemporain incarné dans les pierres d’un château vivant. C’est aussi une déclaration d’amour au pouvoir de l’art d’émerveiller, surtout quand il rit de lui-même. Et si le merveilleux d’aujourd’hui était justement là, dans ce mélange savoureux de poésie, d’ironie et d’émerveillement ? Au Rivau, on en sort le sourire aux lèvres, et l’imagination en fête.
> Le site du Château du Rivau