À l’Arpège, son restaurant triplement étoilé de la rue de Varenne à Paris, le chef breton cisèle le goût comme un plasticien travaille la couleur. Pour Alain Pässard, une sauce se monte avec un sourire, un copeau de beurre salé et un soupçon de lumière. Ce n’est pas une formule : c’est une esthétique, un art de vivre. Quand il déclare sur France Inter que « son métier le fait sourire tous les matins », on comprend qu’il parle moins d’un travail que d’un engagement sensoriel, poétique et total.
« La cuisine est un voyage »,
Alain Passard
La vie d’Alain Passard commence en 1956 à La Guerche-de-Bretagne. Issu d’une famille de musiciens, il grandit entre piano et saxophone. Très jeune, il choisit la cuisine, entre en apprentissage à 14 ans, passe par La Chaumière à Reims, puis rejoint Alain Senderens à L’Archestrate. Il a 26 ans lorsqu’il devient le plus jeune chef doublement étoilé au Guide Michelin. En 1986, il reprend L’Archestrate, le rebaptise « L’Arpège » en hommage à la musique, et décroche une à une les étoiles. La troisième arrive en 1996. Il ne la lâchera plus.
Son potager est aussi son studio. À l’instar d’un Picasso, le motif Arlequin s’invite dans une jardinière. Peut-on parler d’un cubisme culinaire ? Une évidence face à sa ratatouille « bigouden » au beurre salé, mi-crue mi-cuite, qui évoque la mosaïque des xenia antiques. Chaque plat est une escale. Chaque collage, une carte sensible.
Ce qui frappe dans son geste, c’est l’intuition. Il y a chez lui du musicien improvisateur, de l’artisan exigeant, du voyageur immobile. La cuisine devient un théâtre silencieux, un espace de transfiguration. Un radis peut devenir icône. Une assiette, vitrail.
Alain Passard compose une œuvre double : éphémère dans l’assiette, pérenne sur le papier. Il ne cherche pas à figer le vivant, mais à lui donner un second souffle. Son art ne se dit pas, il se goûte, se regarde, se respire. Un art total, en somme. À déguster des yeux, le sourire aux lèvres.