[Les livres sont des œuvres d’art ] Neige Sinno et Jef Le Maout par Sylvie Hazebroucq

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Ici, Jef Le Maout photographie l’absence. Et voilà que le texte de Neige Sinno nous interroge : à quoi sommes-nous, réellement, présents en somme ?

Par Sylvie Hazebroucq

L’écriture de l’autrice sublime le doute. Qu’entendons-nous au juste quand les autres nous parlent, si ce n’est ce qui fait écho à notre culture, notre langue, notre prisme ?
Nous sommes des êtres solitaires au point de passer à côté de l’altérité, pour peu qu’elle prenne trop de place ou qu’elle n’en trouve aucune.
Au bar, ici ou ailleurs, aussi bien qu’entre les lignes, ce qui arrive jusqu’à nous est un bruissement de cette vie que nous partageons les uns à côté des autres : le corps.

Le bistrot est le lieu de l’écoute, les livres de Neige Sinno aussi. Dans cette narration non fictionnelle à la première personne, comme elle le présente, l’autrice invite à plonger dans un récit à tiroirs : l’expérience vécue par elle-même (sur autant d’années que d’interrogations humbles et philosophiques), des portraits d’invités littéraires (c’est un honneur d’être raconté(e) par Neige Sinno tant la description est attentive), le chahut que le texte convoque chez le lecteur (vous n’y échapperez pas).

Rien n’est plus saisissant que la prise de risque, rien n’est plus envoûtant que l’écho qu’elle produit sous la plume de l’écrivaine. Nous payons tous un jour où l’autre la volonté de comprendre et celle de vouloir capter le réel, le tiroir-caisse sonnant et trébuchant. Un cliché instantané, dans tous les sens du terme.

Le troquet invite à voler quelques minutes à l’accélération, peut-être même un échange avec l’inconnu, ou bien un instant de réflexion, de questionnement, de présent. Il y a de la routine aussi dans ces espaces, de celle qui nous empêche de voir l’autre.

Devenir violent sans même s’en rendre compte, juste en passant sans voir.

L’autre est zappatiste dans La Realidad. Il est combattant. Face au bar, combien d’hommes et de femmes bravant tous les jours l’incertitude d’avoir une place ?
Serait-ce le lieu un brin chaleureux, bruyant du vivant via un percolateur et quelques piétinements, moins cher qu’ailleurs et où l’invisibilité est une vertu ? Le livre transpire de la chair offerte des oubliés, le zinc est un pilier par définition.

L’ailleurs est le refuge. Le café est un sésame. Le trajet est initiatique et coutant. L’arrivée est incertaine. Qu’est-ce qui vaut le coup ? Voilà bien de quoi nourrir une tournée générale autant que l’exil. Le sujet est grave, triste parfois, comment parler de place sans offenser la sérénité ?

Si le mot revient, l’idée fait son chemin. Quelle est la meilleure au fond ? Celle prés du radiateur, chauffée, chauffante ? Celle prés de la fenêtre, de la rue, prêt(e)s à partir ou à rêver ? Celle privilégiée au risque de couper de toute authenticité, comme le souffle l’autrice ?
Le café suspendu l’est autant que le texte, à boire les paroles de Neige Sinno, le temps s’allonge, ralenti. Que peut l’écriture alors ? Nous inviter à renouer avec la disponibilité ? À fréquenter le bistrot du quartier ?

Si le récit de Neige Sinno interroge sur la place que nous occupons, celle qu’on veut bien nous accorder, celle qui nous fait rêver, dans cette photo on se demande combien de temps nous allons rester au comptoir…

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