Gabriel Orozco, dans le ventre de la baleine

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Dans le vaste hall du MoMA de New York, un squelette de baleine plane au-dessus des visiteurs jusqu’au 1er mars. Loin d’être une simple curiosité anatomique, cette sculpture monumentale est l’œuvre de Gabriel Orozco. L’artiste mexicain a acquis cette carcasse sur la côte Pacifique, après qu’elle s’est échouée, et y a inscrit des lignes noires sinueuses qui soulignent les mouvements de la colonne vertébrale. Une manière d’ajouter un souffle graphique à la structure osseuse, de révéler un rythme interne, presque musical, à ce corps défunt.

Cette œuvre incarne bien la démarche d’Orozco, 48 ans, figure majeure de la scène artistique contemporaine depuis les années 1990. Son art s’ancre dans le quotidien, le vivant, le hasard, et floute les frontières entre objet trouvé et sculpture, entre mathématiques et poésie.

Du squelette à la DS profilée

Ce n’est pas la première fois qu’Orozco travaille avec des restes humains ou animaux. En 1997, Black Kites, un crâne humain recouvert à la main d’un damier au graphite, explorait déjà la tension entre ordre et chaos, vie et mort, rigueur mathématique et matérialité organique. En 1993, il avait aussi marqué les esprits avec La DS, une Citroën coupée en trois et ré-assemblée pour n’en faire qu’un modèle étroit et aérodynamique – un geste sculptural fort qui interrogeait les normes industrielles, l’optimisation et l’absurde.

Un art du déplacement

Le Centre Pompidou à Paris lui consacre une grande rétrospective du 15 septembre au 3 janvier 2011. On y retrouvera ses grandes installations comme ses œuvres plus discrètes : dessins sur papiers, objets trouvés transformés, photographies de détails urbains ou naturels. Car chez Orozco, tout fait matière à œuvre. Une flaque d’eau, un fruit tranché, une pierre polie deviennent prétexte à réflexion. Il travaille souvent in situ, refuse l’atelier fixe, se laisse guider par les rencontres, les lieux, les imprévus.

Ce rapport au monde — curieux, mobile, non hiérarchisé — donne à son œuvre une forme d’universalité discrète. Peu spectaculaire à première vue, elle agit souvent en profondeur. Une manière de ralentir, d’observer autrement, de trouver du sens dans l’éphémère. À New York comme à Paris, l’œuvre d’Orozco invite à regarder différemment ce qui nous entoure, jusque dans les os d’une baleine.

6 Commentaires

  1. C’est superbe.
    ‘Jurassic Park’ à la rencontre de ‘L’Aventure intérieure’, le tout filtré par Marcel Duchamp ; en gros :  » y’a un os dans le ready-made  » !!!
    Gabriel Orozco est un artiste d’envergure.
    Curieux de voir ce qu’il montrera à Beaubourg. Rendez-vous à l’automne 2011.

  2. ça ne change pas d’Our body, toujours la même fascination pour l’exposition « du » cadavre. Toujours le même goût morbide pour la profanation ordinaire. On nous fait partout manger visuellement du cadavre, les catastrophes naturelles s’exposent par l’entremise humanitaire, et les musées, qui n’ont rien de mieux à se mettre sous la dent se contentent du même registre morbide. La mort hante nos esprits. Pour quelle finalité, pour quel projet de société?
    Le modernisme me manque… quoique ce projet rappelle les problématiques du spectateur en rapport avec l’objet minimal. Les trois LLL de Robert Morris positionnés différemment dans l’espace étaient plus ouverts que pour ces quelques os. Le ventre de la mère de la baleine ne représente qu’un seul espace, celui du retour intra-utérin… œuvre étroite, pas trop de possibilités pour le spectateur de se placer différemment dans l’espace. La projection dans le cadavre baleine n’est pas suffisant pour la perception compassionnelle en vigueur dans les musées d’art.

  3. Je trouves votre article et votre dossier inintéressant, Je vais avoir besoin d’un peu de temps pour bien assimiler le tout quand même. Bonne continuation et longue vie à votre site !

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